AMNESTY INTERNATIONAL EXTERNE AMR
34/02/98
Section française SF 98 CO 244
76 boulevard de la Villette
75019 PARIS
Avril 1998
GUATEMALA
Toute la vérité, justice pour tous
Résumé
Les cas décrits dans le présent rapport ne constituent qu'une très petite partie des dizaines de milliers de violations des droits de l'homme sur lesquelles Amnesty International a recueilli des informations au cours de la période de conflits armés interne au Guatemala ( 1960-1996 ). Ces cas sont représentatifs d'un ensemble plus général et d'une politique de violations flagrantes ou systématiques commises dans ce pays par des membres des forces de sécurité guatémaltèque, par leurs forces auxiliaires ou par des personnes qui agissaient avec le consentement de l'Etat. En les faisant figurer dans le présent rapport, Amnesty international attire l'attention sur les problèmes et les cas dont notre organisation estime qu'ils requièrent d'urgence l'attention des autorités guatémaltèques qui sont aujourd'hui confrontées au défi de traiter ce qui est l'un des plus horribles héritages du domaine des droits de l'homme de la région, et de prendre la direction inverse.
Tel est le sujet principal du présent rapport : l'obligation de l'Etat de fournir réparation aux victimes de violations antérieures des droits de l'homme, à leurs familles et proches et à la société dans son ensemble. Amnesty International est convaincue qu'une réparation complète aux victimes des violations d'autrefois ne peut, en définitive, être garantie que par les autorités guatémaltèques, à qui la société et la communauté internationale ont confié la tâche de faire respecter la législation nationale et le droit international en matière de droits de l'homme dans le domaine d'enquêtes judiciaires dignes de ce nom, de traduire les coupables en justice et de fournir réparation.
Par principe, toutes les victimes de violation des droits de l'homme commises par des agents de l'Etat ou par des personnes agissant avec le consentement de l'Etat ont droit à la vérité et à une réparation adéquate, ce qui inclut les indemnités pécuniaires et la réadaptation. La réparation doit comporter des mesures légales nécessaires pour rendre à la victime sa dignité et sa réputation. Les victimes, leur famille et la société dans son ensemble ont aussi le droit de demander des mesures qui garantissent la fin de l'impunité et qui empêchent que de tels crimes se reproduisent.
Les victimes de violations des droits de l'homme ont droit à la justice telle qu'elle est inscrite dans la législation nationale et dans de nombreuses normes internationales des droits de l'homme. Ces textes obligent les Etats à veiller à ce que justice soit faite en s'assurant que des enquêtes véritables et impartiales soient menées, que tous les faits soient entièrement tirés au clair et que les organismes de l'Etat et les personnes responsables de crimes contre les droits de l'homme soient identifiés et traduits devant un tribunal.
Sous cet éclairage, les autorités guatémaltèques seront jugées selon ce qu'elles décident d'entreprendre et ce qu'elles réalisent, ce qui sera évalué au regard des normes et des principes internationaux des droits de l'homme. Ce qui sera crucial dans cette évaluation, ce sera le degré de coopération des autorités avec la Commission de clarification historique et la manière dont elles mettront en uvre ses recommandations. Dans ce rapport, Amnesty International présente un ensemble de 20 recommandations destinées à apporter une contribution et une aide aux autorités guatémaltèques pour mener à bien cette tâche.
En septembre 1997, la Commission de clarification historique guatémaltèque a ouvert une enquête sur le conflit armé intérieur qu'a connu le Guatémala. Cette Commission, nommée pour une période de six mois (renouvelable six mois), devrait publier le résultat de ses recherches et ses recommandations aux autorités guatémaltèques en 1998. Amnesty International se préoccupe cependant du fait qu'un certain nombre de limitations et d'incertitudes concernant le travail de la Commission puissent compromettre ou limiter son rôle face aux obligations de l'Etat concernant son lourd passé de violations des droits de l'homme.
Amnesty International pense cependant qu'il est encore temps de faire en sorte que le travail de la Commission, à un tournant décisif de l'histoire guatémaltèque, contribue à la transition vers une société dans laquelle les droits de l'homme sont protégés. C'est pour cette raison que l'organisation présente également un ensemble de 20 recommandations à l'attention de la Commission de clarification historique qui, si elles sont adoptées, devraient aider la Commission à remplir sa mission qui est de rétablir l'Etat de droit au Guatémala en faisant respecter le droit des victimes des violations des droits de l'homme commises par le passé à connaître la vérité et à demander justice et réparation, comme le prévoient les normes et principes internationaux des droits de l'homme.
Sommaire
Chapitre 1 : Les violations des droits
de l'homme commises par le passé
Le contexte
"Disparitions"
Exécutions extrajudiciaires
La torture 13
L'impunité : déni du droit à la recherche de la vérité et à la
justice
Intimidation de l'appareil judiciaire
Cimetières clandestins
Chapitre 2 : Les victimes
Les opposants politiques
Les syndicalistes
Les militants religieux
Militants pour la terre et les indigènes
Destruction de communautés rurales au début des années 80
Les femmes militantes
Les défenseurs des droits de l'homme
Chapitre 3 : Les auteurs des crimes et
leurs complices
Les forces armées
Les forces paramilitaires et auxiliaires
La Police nationale
Les "escadrons de la mort"
Les autorités gouvernementales
Atteintes aux droits fondamentaux commises par l'opposition armée
Gouvernements étrangers
Les recommandations d'Amnesty International à la Commission de
clarification historique du Guatémala
Les recommandations d'Amnesty International aux autorités
guatémaltèques concernant leurs obligations envers les victimes de violations des droits
de la personne humaine, leurs familles et l'ensemble de la société
Au cours des prochaines années, les Guatémaltèques se demanderont certainement si le Guatémala connaît actuellement une véritable période de transition vers une réelle réconciliation et la fin des violences et des violations des droits de l'homme, ou si l'histoire fera de cette période un rendez-vous manqué pour un changement durable. La réponse à cette question dépend en grande partie de la manière dont les autorités guatémaltèques auront choisi de s'attaquer aux questions fondamentales qui surgissent lors de toute période de transition : le devoir et les obligations de l'Etat à l'égard des victimes des violations des droits de l'homme commises par le passé, de leurs familles et de la société dans son ensemble, suite à la longue histoire de violations graves ou systématiques perpétrées dans ce pays.
Le conflit armé intérieur au Guatémala s'est achevé après trente-six années en décembre 1996, quand le gouvernement et l'opposition armée, la Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG, Unité Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque) conclurent un cessez-le-feu et signèrent "l'accord pour une paix ferme et durable". Cet accord permit la mise en application de six accords conclus les années précédentes lors des négociations de paix conduites sous l'égide des Nations unies. Certains des accords incluent des mesures qui, si elles sont entièrement appliquées, fourniront une base à partir de laquelle les autorités pourraient commencer à s'acquitter de leurs obligations à l'égard des victimes de violations commises par le passé et à l'égard de leurs familles. A titre d'exemple, l'Accord général sur les droits de l'homme (le seul accord applicable immédiatement dès sa signature), signé en mars 1994, inclut des engagements importants pour mettre fin à l'impunité, promouvoir le respect des droits de l'homme et indemniser les victimes.1
Le présent rapport se penche sur la Commission de clarification historique guatémaltèque mise en place suite à l'Accord sur l'établissement d'une Commission pour la clarification historique des violations des droits de l'homme qui ont causé des souffrances au peuple guatémaltèque 2 signé le 23 juin 1994. Cet accord fixe le mandat et les limites de la Commission et l'autorise à commencer ses travaux une fois les négociations terminées. En théorie, la Commission doit essentiellement apporter son soutien aux autorités guatémaltèques pour s'attaquer aux préoccupations contenues dans ce rapport : l'obligation de l'Etat de donner réparation aux victimes de violations commises par le passé et à leurs familles, sous la forme d'enquêtes judiciaires appropriées, de traduire en justice les responsables de ces violations, et de leur fournir réparation.
Les autorités guatémaltèques ont l'obligation de garantir réparation complète aux victimes de violations commises par le passé. Elles ont été chargées par la société et par la communauté internationale de se conformer à leur législation nationale et aux normes internationales relatives aux droits de l'homme pour entamer des enquêtes judiciaires, traduire les coupables en justice, et apporter réparation aux victimes. En résumé, quelle que soit la contribution que pourra apporter la Commission de clarification historique guatémaltèque, c'est à l'Etat guatémaltèque qu'il appartient de remplir ses obligations à l'égard des victimes de violations des droits de l'homme commises par le passé, et à l'égard de la société toute entière. Pour cette raison, l'Etat guatémaltèque sera jugé en fonction de la manière dont il s'occupe de ses obligations et de sa réaction aux conclusions de la Commission.
Toutes les victimes de violations des droits de l'homme commises par des agents de l'Etat, ou par des individus agissant avec le consentement de l'Etat, ont le droit de connaître la vérité et de recevoir des réparations appropriées, ce qui inclue des compensations financières et la réhabilitation. La réparation doit comprendre des mesures légales nécessaires pour rendre à la victime sa dignité et sa réputation. Les victimes, leurs familles et la société dans son ensemble ont aussi le droit de demander que des mesures soient adoptées afin de garantir la fin de l'impunité et d'empêcher que ne se reproduisent de tels crimes3.
Les victimes de violations des droits de l'homme ont le droit de demander justice, comme le garantissent la législation nationale et les diverses normes internationales des droits de l'homme, en particulier la Déclaration américaine des droits et des devoirs de l'homme (art.8), la Convention américaine relative aux droits de l'homme (art.8(1) et 25), la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (art.8), et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art.2(3)). Ces conventions obligent les Etats à veiller à ce que justice soit faite et à garantir que des enquêtes impartiales sont effectivement menées, que tous les faits soient complètement élucidés et que les services de l'Etat et les individus responsables des crimes contre les droits de l'homme soient identifiés et traduits devant une cour de justice.
Le Guatémala est un des derniers pays du continent américain à sortir d'une période de conflit armé ou de régime militaire. Les gouvernements de ces pays ont tenté de prendre des mesures afin de rétablir la vérité sur les événements passés, mais n'ont pas assumé leurs responsabilités concernant le droit des individus à la justice et la restauration de l'Etat de droit4.
En septembre 1997, la Commission de clarification historique guatémaltèque a commencé d'examiner la période du conflit armé intérieur (1960-déc.1996), au cours de laquelle des dizaines de milliers de violations ont été perpétrées par des membres des forces de sécurité guatémaltèques, leurs auxiliaires ou des individus agissant avec le consentement de l'Etat. La Commission, mandatée pour six mois (renouvelable six mois), devrait rendre ses conclusions et ses recommandations aux autorités guatémaltèques en 1998. Cependant, la mission de la Commission et le degré de collaboration avec les autorités de l'Etat, et particulièrement les forces armées, restent encore peu clairs. Tout d'abord, il n'a pas été clairement précisé jusqu'à quel point la Commission peut élucider les faits concernant les violations des droits de l'homme commises par le passé n'a pas été clairement défini et les organisations nationales des droits de l'homme craignent que cette ambiguïté ne conduise à une présentation partiale et fragmentaire de la part de responsabilité de l'Etat dans les violations de droits de l'homme commises par le passé. Ensuite, on ne sait toujours pas très bien comment les conclusions et les recommandations de la Commission s'intégreront aux procédures judiciaires en cours5. Ce doute s'ajoute aux craintes que les informations rassemblées par la Commission puissent ne pas être communiquées ou qu'elles soient supprimées et que les conclusions et les recommandations puissent faire l'objet de compromis afin d'apaiser les forces politiques peu désireuses de faire face au lourd héritage de violations perpétrées par l'Etat par le passé.
Ces incertitudes sont motivées par les nombreuses limitations imposées au mandat de la Commission de clarification historique, ainsi que par des préoccupations concernant la méthodologie, les ressources et le temps dont dispose la Commission. En août 1996, Amnesty International a présenté au gouvernement guatémaltèque un mémorandum exposant les préoccupations d'Amnesty quant au manque de clarté des objectifs et du mandat de la Commission. Ce document mettait également en lumière les limites du mandat de la Commission, lequel établit que les conclusions de la Commission "ne doivent pas individualiser les responsabilités, ni avoir des effets ou des objectifs judiciaires"6. Au mois d'avril 1997, Amnesty International a présenté au gouvernement guatémaltèque un Programme en 35 points pour mettre un terme à l'impunité et aux violations des droits de l'homme au Guatémala, qui réitérait ces préoccupations et soulevait d'autres questions, telle que la nécessité de l'entière collaboration des autorités guatémaltèques, et notamment de l'armée guatémaltèque, avec les parties qui jouent un rôle important dans ce processus, y compris l'URNG et les seconds gouvernements7.
Toutefois, Amnesty International considère qu'il est encore temps de veiller à ce que les travaux de la Commission à ce moment crucial de l'histoire guatémaltèque permettent de contribuer à la transition vers une société dans laquelle les droits de l'homme seront respectés.
La réussite de la Commission de clarification historique dépendra de sa capacité à remplir les objectifs qui lui sont fixés et de mener à bien ses travaux. Elle dépend également de l'interprétation que la Commission fera des objectifs du mandat qui lui a été confié. Ces mandats sont :
" I. Elucider, avec une totale objectivité, impartialité et équité, les violations des droits de l'homme et les actes de violence liés au conflit armé et ayant entraîné des souffrances pour le peuple guatémaltèque.
II. Préparer un rapport contenant les résultats des enquêtes menées et établissant les faits relatifs aux événements qui se sont produits au cours de cette période, en prenant tous les facteurs en compte, aussi bien internes qu'externes.
III. Présenter des recommandations détaillées en faveur de la paix et de l'harmonie nationale au Guatémala. La Commission devra, en particulier, proposer des mesures visant à préserver la mémoire des victimes, à promouvoir une culture de respect mutuel et de respect des droits de l'homme et renforcer le processus démocratique.
Amnesty International estime qu'un des moyens principaux dont dispose la Commission pour promouvoir une culture du respect des droits de l'homme réside dans le soutien du droit des victimes de violations commises par le passé à connaître la vérité et à obtenir justice et réparation, conformément à la législation guatémaltèque et aux normes et principes internationaux des droits de l'homme. Dans cet objectif, la Commission devrait s'assurer que les autorités guatémaltèques mettront à profit les informations, les conclusions et les recommandations de la Commission, et les incluront dans les poursuites judiciaires en cours ou à venir, afin de faciliter le processus d'entière clarification concernant les violations des droits de l'homme commises par le passé, d'identification des responsables et leur comparution en justice. La Commission devrait également avoir pour objectif de proposer des mesures concrètes concernant les réparations auxquelles ont droit les victimes, leurs familles et la société toute entière.
C'est dans ce but que la Commission devrait également émettre des recommandations juridiques, politiques et administratives afin de prévenir de futures violations des droits de l'homme, de mettre fin à l'impunité de ces crimes, et d'engager un processus de démantèlement des structures répressives de l'Etat. Elle devrait ensuite veiller à sauvegarder les preuves qu'elle a réunies et prendre des mesures afin de garantir la sécurité des personnes qui lui apportent de l'aide, dans sa tâche essentielle et particulièrement les plus vulnérables - c'est-à-dire celles qui témoignent contre les responsables.
L'action des autorités guatémaltèques sera jugée d'après les objectifs qu'elles se seront fixés et ce qu'elles auront effectivement accompli, en fonction des normes et des principes internationaux des droits de l'homme. L'ampleur de la collaboration des autorités avec la Commission de clarification historique et la façon dont elles agiront sur ses conclusions et appliqueront ses recommandations seront un critère essentiel d'évaluation de cette action.
Ce rapport étudie les principales préoccupations relatives aux droits de l'homme durant la période de conflit armé intérieur, préoccupations qui requièrent d'après Amnesty une attention particulière de la part des autorités guatémaltèques et de la Commission de clarification historique. En illustrant ces préoccupations par des cas concrets, Amnesty International espère contribuer à mettre à l'ordre du jour le problème de l'héritage atroce du Guatémala en matière de droits de l'homme et aider les autorités à entamer un processus de réparation pour les victimes de ces violations et la société dans son ensemble. Le rapport s'achève par un ensemble de 20 recommandations adressées aux autorités guatémaltèques concernant son devoir d'assurer que de réelles enquêtes soient ouvertes sur les violations des droits de l'homme commises par le passé, que les responsables soient traduits en justice et que les victimes et leurs familles obtiennent réparation. Un second ensemble de 20 recommandations est destiné à la Commission de clarification historique qui pourraient, si elles étaient adoptées, renforcer sa contribution.
Ce rapport n'entend pas être une étude exhaustive de la situation générale des droits de l'homme au Guatémala au cours de la période de conflit armé interne8. Les cas présentés ne représentent qu'une infime partie de milliers de cas traités par Amnesty International ces dernières années9. La présentation de ces cas ne signifie pas que les autres doivent être ignorés par la Commission de clarification historique ou que les poursuites judiciaires engagées par les autorités devraient se limiter à ces cas et questions. Bien au contraire, ces cas sont destinés à permettre de centrer l'action qu'il convient de mener au sujet d'une des successions les plus lourdes de la région en matière de droits de l'homme.
Chapitre 1 : Les violations des droits de l'homme commises par le passé
"S'il est nécessaire de faire de ce pays un cimetière pour le pacifier, je n'hésiterai pas à le faire".
Carlos Arana, Président du Guatemala, 197110.
La Commission de clarification historique guatémaltèque est chargée d'examiner la période allant de 1960, date à laquelle les groupes d'opposition armés qui venaient d'être formés ont commencé à agir, à décembre 1996, lorsque le gouvernement guatémaltèque et l'opposition armée, la Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG), signèrent "l'Accord pour une paix ferme et durable".
Au cours de cette période, des dizaines de milliers de Guatémaltèques de toutes les couches de la société ont "disparu" ou ont été exécutés de façon extrajudiciaire, ou ont été torturés par des membres des forces de sécurité guatémaltèques, des forces auxiliaires ou des agents agissant avec le consentement de l'Etat. Bien que le nombre de ces violations ait fluctué durant la période en question, les violations ont été massives, systématiques et perpétrées à grande échelle. Elles rentrent dans un contexte général de violations massives des droits de l'homme. Les témoignages réunis par Amnesty International et d'autres organisations des droits de l'homme laissent penser que ces violations ont souvent été planifiées au plus haut niveau de l'appareil exécutif. L'état de terreur qui en résulta entraîna l'exode de plus d'un million de Guatémaltèques : certains s'enfuirent vers d'autres pays, et en particulier au Mexique tout proche ; d'autres vers les montagnes ou des villages et des villes d'autres régions du Guatémala.
Les auteurs de ces violations des droits de l'homme ont agi ouvertement et sans rencontrer d'obstacles, et étaient hors d'atteinte de la loi. Les structures répressives mises en place au sein de l'Etat, ainsi que les doctrines de sécurité nationale destinées à la conduite d' opérations anti-insurrectionnelles, comprenaient des mesures législatives pour intégrer dans la machine répressive des agents qui n'étaient pas des représentants officiels , afin de décharger l'Etat de toute responsabilité. Ceci entraîna de la part de l'Etat une politique délibérée d'impunité. Les agents de l'Etat responsables de violations graves restaient anonymes ou échappaient aux poursuites judiciaires grâce à des lois leur garantissant l'immunité.
La majorité écrasante des victimes étaient des civils non-combattants, principalement des indigènes Mayas11, qui étaient considérés par le gouvernement comme des opposants, des éléments subversifs, ou supposés être des partisans de la guérilla. Ceux qui couraient alors le plus de risques étaient les militants du droit à la terre, les syndicalistes, les étudiants, les universitaires, les défenseurs des droits de l'homme, les journalistes, les politiciens, le corps médical, les enfants des rues, les réfugiés déplacés ou expulsés, le personnel de justice et les hommes d'église. Les personnes qui refusaient d'effectuer leur service militaire, ou d'intégrer les "Patrullas de Autodefensa Civil "12(PAC), les patrouilles d'autodéfense civile, et les veuves qui exigeaient des exhumations dans les cimetières clandestins, constituaient d'autres cibles.
Amnesty International a étudié systématiquement les informations sur les cas qu'elle a recueillis au cours des années et qui proviennent de très nombreuses sources, qu'il s'agisse de la documentation officielle, des rapports de presse et des témoignages fournis par l'église, des organisations de paysans, des organes de l'Etat, de corps professionnels, des syndicats, et des journalistes guatémaltèques et étrangers. Des témoignages proviennent de témoins oculaires et de rares survivants d'enlèvements ou de tortures. L'organisation a examiné les déclarations de membres et de transfuges des forces de sécurité concernant les violations des droits de l'homme dans lesquelles ils étaient impliqués. Amnesty International a également étudié les conclusions de nombreuses délégations étrangères et s'est elle-même rendue dans le pays pour recueillir des informations et des témoignages de victimes et de témoins. Ce n'est qu'après avoir vérifié et procédé à des examens croisés qu'Amnesty International a publié des informations concernant des cas spécifiques. Certains d'entre eux sont contenus dans ce rapport.
Ce rapport se concentre exclusivement sur les cas de "disparitions", de torture et d'exécutions extrajudiciaires et les mesures prises afin d'éviter à leurs auteurs des poursuites judiciaires. Il met également l'accent sur les mesures prises par les gouvernements successifs pour suspendre ou bloquer les enquêtes sur ces crimes et empêcher que les faits soient entièrement connus. Ces cas entendent illustrer la pratique généralisée des atrocités perpétrées par l'Etat au Guatémala qui, d'après Amnesty International, nécessitent toute l'attention des autorités guatémaltèques et de la Commission de clarification historique. Au minimum, ils donnent un aperçu des preuves déjà disponibles et qui pourraient servir de base à un examen approfondi par la Commission visant à découvrir exactement qui a été responsable des ordres donnés, de l'exécution et de l'"étouffement" de dizaines de milliers de cas semblables enregistrés par Amnesty International. Le rapport examine aussi le rôle qu'ont joué le gouvernement guatémaltèque et certains gouvernements étrangers dans la perpétration ou la facilitation de graves violations de droits de l'homme. Il examine également certaines violations attribuées à des groupes armés de l'opposition.
"Aucun Etat ne doit commettre, autoriser ou tolérer des actes conduisant à des disparitions forcées"
Déclaration des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires, article 2.
"On entend par disparition forcée des personnes la privation de liberté d'une ou de plusieurs personnes sous quelque forme que ce soit, causée par des agents de l'Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat, suivie du déni de la reconnaissance de cette privation de liberté ou d'informations sur le lieu ou se trouve cette personne, ce qui, en conséquence, entrave l'exercice des recours juridiques et des garanties pertinentes d'une procédure régulière".
Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes, article II, signée par le Guatémala le 21 juin 1994.
Les "disparitions" ont figuré parmi les principales caractéristiques des mesures de répression appliquées par l'Etat ainsi que des opérations anti-insurrectionnelles qui ont eu lieu pendant toute la période où a duré le conflit armé interne du Guatémala. Bien qu'il soit difficile de dire exactement combien de personnes ont "disparu", Amnesty International a réuni des informations sur des milliers de cas de cet ordre. Les informations rassemblées par quelques organisations guatémaltèques des droits fondamentaux donnent à penser qu'il risque d'y avoir plus de 25 000 personnes qui ont disparu au cours de la période en question13.
Les "disparitions" sont, par leur nature même, secrètes. Les proches des "disparus" vivent dans une angoisse indicible du fait qu'ils ignorent si ceux qui leur sont chers sont morts ou vivants et s'ils sont en train de subir des tortures dans un centre de détention14. Une victime de "disparition" est coupée du reste du monde et placée hors d'atteinte de toute protection. Elle craint que personne ne puisse lui venir en aide, elle craint d'être tuée, sort qui, estime-t-on, a été réservé à un grand nombre de ceux qui ont "disparu" au Guatémala. Dans ce pays, de nombreux cas de "disparition" n'ont pas été signalés parce que les parents de la victime craignaient des représailles ou pensaient, dans quelques cas, que la personne pourrait être libérée. De tels espoirs étaient entretenus par des rumeurs selon lesquelles des personnes étaient retenues dans des centres de détention secrets et par le fait que de temps à autre, certains de ceux qui avaient "disparu" avaient selon certains été revus quelques semaines ou quelques mois après leur enlèvement.15
Ces espoirs ont cependant été anéantis par des informations selon lesquelles les corps des disparus avaient été jetés dans des endroits où on ne pouvait pas les retrouver, tels que le canyon des rapides du Xalbal dans l'Ixcán, El Quiché, le lac Atitlán, département de Sololá ; le lac Izabal, département d'Izabal, ainsi que dans la mer et dans quantité d'autres endroits dans l'ensemble du pays. Plus tard, on a retrouvé de corps rejetés par la mer mais un grand nombre des "disparus" ne seront jamais retrouvés. Parfois les corps ont été jetés loin de l'endroit où les victimes avaient été enlevées. Dans certains cas, les corps ne pouvaient être reconnus, tant ils avaient été mutilés.
Souvent, les enlèvements n'ont pas eu de témoins. Mais quand il y en a eu, ils ont rarement vu la victime en train d'être tuée ; ils ont seulement vu qu'on la traînait jusque dans un véhicule ou hors d'une maison. Il est également difficile de réfuter les affirmations des administrations qui l'une après l'autre ont déclaré que ceux qui avaient "disparu" avaient en fait pris la fuite. Les parents de "disparus" qui déposaient des requêtes auprès des autorités étaient fréquemment accusées de diffamation ou de mensonge. "Ils ont dit que les "disparus" étaient "fictifs", qu'ils n'existaient pas, que les informations avaient été créées de toutes pièces afin de déshonorer et de discréditer le gouvernement guatémaltèque" nous a dit une mère de "disparu"16.
Jusqu'à ce jour, les administrations ont été l'une après l'autre incapables de mener des enquêtes impartiales et exhaustives sur les cas antérieurs de "disparitions" du passé au Guatémala, laissant ainsi les familles dans une incertitude qui perdure. Des années après les enlèvements, les promesses du gouvernement d'enquêter sur les "disparitions", promesses nombreuses mais jamais tenues, ont uniquement été source de frustration pour les proches des personnes portées disparues. Ces promesses ont aussi fait naître chez certains l'espoir qu'un jour ils finiraient par connaître les faits concernant le sort de ceux qui leur sont chers.
Les exécutions extrajudiciaires, arbitraires, et sommaires seront interdites par la législation nationale....
(Principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires)
Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.
(Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 6-1).
Les exécutions extrajudiciaires sont des homicides illégaux et délibérés commis sur l'ordre d'un gouvernement, avec sa complicité ou son assentiment.
(Programme en 14 points d'AI sur la prévention des exécutions extrajudiciaires)
Pendant toute la période de conflit interne au Guatémala, des dizaines de milliers d'exécutions extrajudiciaires ont été commises de façon systématique par des membres des forces de sécurité ou leurs auxiliaires afin de semer la terreur. Dans certains cas, les attaques visaient des personnes déterminées ; dans d'autres, elles avaient pour objectif d'éliminer des personnes résidant dans certaines zones où des insurgés étaient censés opérer. La tactique anti-insurrectionnelle dite "tactique de la terre brûlée" (tierra arrasada), tactique consistant à "priver le poisson d'eau" (quitarle el agua del pez) qui a été utilisée de façon intensive entre 1982 et 1983, a eu pour conséquence le massacre de communautés entières afin de faire en sorte que toute base ou source éventuelle de nourriture qui pourrait servir à l'opposition armée, soit éliminée.
Dans certains cas, c'est au hasard et sans aucune discrimination que les exécutions extrajudiciaires ont été commises. Dans d'autres, c'est après que d'autres moyens de répression n'avaient pas réussi à atteindre le but souhaité. Par exemple, avant de tuer les personnes, on les menaçait de mort, puis on les enlevait et on les torturait17. Dans le cas des massacres, la communauté avait parfois été déjà victime de "disparitions" ou d'enlèvements suivis de torture de plusieurs de ses membres18.
Les exécutions extrajudiciaires de masse étaient planifiées de façon à assurer l'impunité à ceux qui les effectuaient. Souvent la responsabilité de ces assassinats était mensongèrement attribuée à l'opposition armée, ou bien le gouvernement et les médias fournissaient des informations qui présentaient ces morts comme s'étant produites au cours de combats. Un rapport de 1981 d'Amnesty International sur le Guatémala contenait le témoignage d'un ex-soldat qui disait qu'il avait reçu pour instructions d'attaquer des villages puis avait reçu l'ordre d'y retourner en uniforme pour "enquêter" sur les assassinats19. La création d'un climat de confusion, la déformation délibérée de la vérité et la destruction de preuves capitales étaient aussi d'importantes tactiques anti-insurrectionnelles. Dans certains cas, les forces armées restaient pendant des jours sur les lieux du massacre pour faire en sorte que tous les témoins, si jeunes fussent-ils, soient capturés et tués et que toutes les preuves soient totalement détruites20. Fréquemment, des membres des forces armées ou leurs auxiliaires creusaient des fosses communes où l'on jetait les corps des victimes. Les cadavres étaient souvent incinérés, ce qui rendait impossible leur identification.
Même des années après les événements, les restes exhumés de ces fosses communes étaient parfois volés avant que l'on puisse procéder à leur examen médico-légal.21
Un autre procédé par lequel des membres des forces de sécurité guatémaltèques responsables d'assassinats extrajudiciaires cherchaient à s'exonérer de toute responsabilité consistait à incriminer ou à traumatiser les proches ou les témoins en les impliquant dans ces assassinats. Par exemple, au début des années 80, des membres de l'armée guatémaltèque auraient séparé en deux groupes des villageois de Chuabaj, Chichicastenango dans le département d'El Quiché : d'une part, ceux qui étaient soupçonnés d'être des éléments subversifs, d'autre part ceux qui ne l'étaient pas. Les premiers ont alors été forcés à tuer leurs voisins ou leurs proches à l'aide d'un pieu garni de clous. Quiconque ne montrait pas un pieu ensanglanté était déclaré complice des éléments subversifs et fusillé.
Des mesures semblables visant à dissimuler l'identité des véritables responsables ont été prises quand il s'agissait de personnes prises pour cible individuellement. Dans ces cas-là, les meurtres étaient souvent commis par des hommes armés qui portaient des passe-montagne ou des cagoules pour dissimuler leur identité. AI a reçu des informations circonstanciées qui laissent à penser que les agresseurs étaient des membres en uniforme des forces de sécurité ou leurs auxiliaires ou leurs agents agissant avec leur consentement. Dans un certain nombre de cas, les agresseurs étaient des membres d'"escadrons de la mort" clandestins parmi lesquels se trouvaient fréquemment des hommes de la sécurité ou d'anciens membres de la sécurité habillés en civil mais agissant sous les ordres de responsables militaires ou policiers. Quelquefois, ces assassinats étaient mis en scène ou présentés comme des crimes de droit commun ou même comme des crimes passionnels.
"Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants".
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 7.
"Le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsque de telles douleurs ou souffrances sont infligées par un agent de la force publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite".
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Article 1 (Nations unies)
Au Guatémala, la torture a été systématiquement utilisée en même temps que d'autres violations graves des droits humains comme les exécutions extrajudiciaires ou les "disparitions".
Il semble que certains survivants ont été enlevés, torturés puis remis en liberté dans le but de terroriser leurs proches ou les personnes avec qui ils travaillaient ou vivaient. Leurs témoignages et ceux d'autres survivants relatent comment ils ont été soumis à des simulacres d'exécution, à des décharges électriques, à l'étouffement, comment ils ont été immergés dans des puits obscurs pendant de longues périodes, sauvagement frappés ou encore brûlés avec des cigarettes ou coupés à l'aide d'un couteau sur certaines parties du corps.
Une torture très généralement pratiquée au Guatémala était la mutilation, y compris la dislocation des membres ou le charcutage du visage et des organes sexuels. Pendant la période dont nous parlons, AI a reçu des centaines d'informations signalant des décès sous la torture, la victime ayant, avant sa mort, été gravement défigurée ou mutilée. Parmi les tactiques anti-insurrectionnelles destinées à susciter un choc et une horreur psychologiques supplémentaires, il y avait le fait de laisser le cadavre mutilé - ou des parties du cadavre - dans des lieux publics, quelquefois accroché à des arbres ou déposé au bord d'une route, ou encore jeté dans des dépôts d'ordures appelés décharges à corps.
Une autre pratique très répandue, surtout pendant les massacres effectués par les forces armées guatémaltèques et leurs forces auxiliaires en 1982 et 1983, consistait à forcer les gens à regarder tandis que l'on torturait d'autres personnes, y compris en les violant ou en leur infligeant des sévices sexuels, et qu'on les tuait.22 .
Des témoins oculaires ont relaté comment des villageois ont été non seulement forcés de regarder ce qui se passait, mais aussi contraints à y prendre part. Le récit qui suit a été fait par un survivant qui s'est enfui au Mexique :
"Une des femmes, qui se trouve ici maintenant, a perdu son frère le 26 mai. Les soldats ont encerclé le village, arrêté tous ceux qui étaient à l'église et les y ont enfermés. Le frère de cette femme, âgé de 14 ans, venait de rentrer du champ de maïs et était en train de trier les épis, comme cela se fait toujours. Ils l'ont arrêté parce qu'ils pensaient qu'il était guerillero. Ils l'ont suspendu à un arbre. Puis ils ont forcé les gens du village à le fouetter. Les soldats se tenaient entre ceux qui tiraient la corde et ceux qui fouettaient; ils les poussaient avec leurs baïonnettes et les forçaient à continuer. C'est ainsi que les femmes l'ont fouetté à mort. Et l'une d'entre elles était sa soeur".
Les séquelles psychologiques et physiques de la torture ne guériront peut-être jamais. Un assistant social de la ville de Rabinal, Baja Verapaz, a dit à un délégué d'Amnesty International en octobre 1997 que de nombreux habitants de villages voisins viennent régulièrement à un dispensaire médical chercher des analgésiques pour une blessure au dos ou au cou. Les médecins ont découvert que, dans certains cas, ces blessures ont été causées lorsque les patients ont été frappés ou suspendus à un arbre au cours d'opérations anti-insurrectionnelles menées au début des années 80.
L'impunité : déni du droit à la recherche de la vérité et à la justice
Les Etats doivent abroger la législation qui conduit à l'impunité pour les responsables de graves violations des droits de l'homme telles que la torture; ils doivent engager des poursuites contre de telles violations et ainsi établir une assise solide pour l'autorité de la loi.
Conférence mondiale sur les droits de l'homme, 199323.
La commission émet la recommandation que les autorités du Guatemala prennent des mesures véritables pour mettre fin à l'impunité des agents de l'Etat dont les actions sont illégales et pour garantir à tous les membres de la population la possibilité d'obtenir réparation et la garantie d'une procédure légale.
Commission des Nations unies pour l'élimination de toutes les formes de discriminations raciales , 1997.24
L'impunité est le fil unique qui relie entre elles toutes les violations passées des déclarations de droits de l'homme au Guatémala, que la violation se soit produite au début ou à la fin du conflit armé interne et quelle que soit l'unité des forces de sécurité présumée coupable. Amnesty International estime que l'Etat guatémaltèque, en s'abstenant régulièrement de mener des enquêtes approfondies et impartiales sur les cas de violations des droits de l'homme et de traduire les responsables devant les tribunaux, manque à ses obligations internationales et nationales envers les victimes, envers leur famille et envers la société toute entière.
Tout au long de la période que nous examinons, l'impunité a régné. Aucun gouvernement n'a jamais ouvert d'enquête digne de ce nom sur les violations commises sous les gouvernements précédents, malgré les demandes réitérées des familles de victimes. Dès 1984, les principales organisations des droits de l'homme ont commencé à adresser aux autorités gouvernementales des pétitions demandant la création d'une Commission d'enquête sur les cas passés de violations des droits de l'homme. En novembre 1985, le nouveau président Vinicio Cerezo, a déclaré : " Nous n'allons pas pouvoir enquêter sur le passé. Il faudrait mettre en prison l'armée entière Tout le monde a été impliqué dans la violence. Mais il faut tourner la page. Si je commence des enquêtes et des procès, je ne fais qu'encourager la vengeance."
Une proposition de loi de 1991, instituant une commission nationale d'enquête sur les "disparitions" n'est pas, elle non plus, venue en discussion au Congrès et n'est pas devenue loi. Les enquêtes effectuées et les condamnations prononcées sont restées l'exception, et non la règle, et ont été principalement obtenues grâce aux efforts soutenus des familles de victimes et d'associations de défense des droits de l'homme, et grâce aussi à la pression continue de la communauté internationale. Dans l'ensemble, les cas en question ou bien faisaient l'objet d'une grande publicité ou bien impliquaient des non-guatémaltèques. Dans les procès qui aboutissaient à des condamnations, les juges avaient tendance à infliger des peines aux subalternes en dispensant de toute sanction des gradés impliqués dans les violations.
Généralement, les rares enquêtes ou procès pénaux étaient entachés d'irrégularités ou subissaient des retards. Ceci était habituellement dû au manque de coopération des autorités policières ou militaires qui retardaient indéfiniment les enquêtes ou essayaient de transférer à d'autres institutions officielles leurs responsabilités d'enquêteurs, ou encore au manque de volonté de la part des responsables judiciaires concernés. En conséquence, dans de nombreux cas, le résultat de telles enquêtes dépendait de la détermination du juge ou des procureurs à poursuivre une affaire, ou de la détermination et du courage des proches des victimes et d'associations de défense des droits de l'Homme pour continuer à insister pour que des poursuites soient ouvertes.
Le manque de volonté politique, qui permet à l'impunité de continuer, se manifeste essentiellement dans la carence de l'Etat quand il faudrait enquêter sur la violation des droits de l'homme; dans sa mauvaise volonté ou son incapacité à fournir les moyens nécessaires à des enquêtes adéquates, et dans la complicité des agents de l'Etat avec leurs collègues accuser de violer les droits de l'homme. Pendant des décennies, des preuves importantes qui auraient pu impliquer des personnages officiels de telles violations ont été systématiquement détruites, perdues, volées ou truquées. Des centaines d'enquêtes sur de graves cas de violations des droits de l'homme ont été closes pour insuffisance de preuves.
La pratique régulière consistant à dismuler les cas de violations des droits de l'homme, qui pouvait aller jusqu'à l'ingérence dans les enquêtes judiciaires et pénales, nécessitait la complaisance ou la complicité de nombreux organismes d'Etat et d'un nombre toujours plus grand de responsables de l'Etat. Les derniers temps du conflit armé interne au Guatémala, l'immunité pour violations des droits de l'homme s'est dissimulée sous une apparence plus sophistiquée : les autorités ont adopté des mécanismes bureaucratiques ou une rhétorique des droits de l'homme afin de convaincre les organisations nationales et internationales de défense des droits de l'homme que des enquêtes étaient effectivement menées alors que ce n'était presque jamais le cas. Pratiquement tous les organes de l'appareil d'Etat se trouvaient engagés dans ce faux-semblant qui contribuait à renforcer l'immunité et l'anonymat des auteurs de violations.
Les auteurs de violations des droits de l'homme étaient aussi mis hors portée de la loi grâce à la législation qui leur accordait l'immunité des poursuites pendant les enquêtes judiciaires25. La première de ces mesures, le décret-loi n°16, accordait l'amnistie pour des crimes politiques commis dans le cadre de soulèvements entre le 13 novembre 1960 et le 25 novembre 1962. Par la suite, des décrets d'amnistie successifs ont été adoptés par le Congrès pour couvrir les périodes de transition entre gouvernements constitutionnels et gouvernements de facto. Entre le 23 mars 1982 et le 23 juin 1988, pas moins de 12 textes de grâce accordant l'amnistie aux personnels de l'Etat auteurs de graves violations des droits de l'homme ont été approuvés par le Congrès. La plupart stipulaient des dates d'expiration, bien que certains restent en vigueur. Par exemple, le décret-loi 08-86, adopté par le gouvernement militaire sortant seulement quatre jours avant de passer ses pouvoirs à un gouvernement civil nouvellement élu, en janvier 1986, spécifiait que l'on ne pouvait entamer de poursuites pénales contre les auteurs et les complices de "crimes politiques et de crimes de droits commun connexes commis au cours de la période du 23 mars 1982 au 14 janvier 1986". Ce décret n'a toujours pas été abrogé. Il résulte donc de cela qu'il peut éventuellement permettre à de nombreux auteurs de graves violations des droits de l'homme d'échapper à la justice en faisant obstacle aux tentatives d'engager contre eux des poursuites.
Dernièrement le Congrès a adopté le 18 décembre 1996 la loi de réconciliation nationale qui fait partie de l'accord de paix final. Aux termes de cette loi, les auteurs de nombreux crimes commis au cours de la période de conflit armé interne, ou s'y rattachant sont exemptés de responsabilité pénale. Cependant, restent soumis à la responsabilité pénale les auteurs de torture, "disparition", génocide et crimes auxquels ne s'applique pas un statut limitatif selon la législation nationale et les traités internationaux ratifiés par le Guatémala.
Amnesty International estime que des mesures de grâce ou des lois d'amnistie qui ont pour effet d'empêcher la manifestation de la vérité et la responsabilité devant la loi qui en découle ne sont pas acceptables. Cependant, notre organisation ne prend pas position au sujet des grâces après condamnation, accordées une fois que la vérité est connue et que la procédure judiciaire est achevée. Amnesty International est préoccupée du fait que, en raison des exemptions prévues par la Loi de réconciliation nationale, certaines violations des droits de l'homme demeurent impunies, entre autres des exécutions extrajudiciaires, des détentions arbitraires, des viols et des abus sexuels, ou toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant, parce que la loi ne précise pas que l'exemption de poursuite ne s'applique pas à ces crimes. En outre, le Guatémala n'étant pas partie à la Convention sur la non applicabilité de limitations statutaires aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, Amnesty International craint que certains crimes contre l'humanité ne soient pas inclus dans la catégorie des crimes qui demeurent passibles de poursuites d'après la loi de réconciliation nationale.
Intimidation de l'appareil judiciaire
Les facteurs qui ont amené l'échec historique de l'appareil judiciaire au Guatémala dans toute tentative d'enquête sur les violations des droits de l'homme sont divers et complexes. Beaucoup, certes, peut être expliqué par la stupidité, la négligence, la corruption et la malhonnêteté, mais l'appareil judiciaire guatémaltèque a aussi fait l'objet de persécution. Les autorités judiciaires ont souvent été la cible d'abus, tels qu'exécutions extrajudiciaires, "disparitions", menaces de mort et intimidations, en particulier quand elles ont essayé de mener des enquêtes sur des violations des droits de l'homme ou insisté pour que des mesures légales soient prises pour mettre fin à l'impunité. Les abus dont les membres des services judiciaires ont été victimes montrent jusqu'où pouvaient aller ceux qui étaient poursuivis pour des violations des droits de l'homme afin de se mettre à l'abri des poursuites et d'éviter la révélation des crimes qu'ils avaient commis.
La peur suscitée par ces abus dissuadait les autres juristes et hommes de loi de poursuivre les affaires confiées à leur juridiction. De leur côté, les gouvernements successifs se sont montrés peu désireux ou incapables de protéger ceux qui essayaient d'administrer la justice.
Les abus perpétrés contre ceux qui prenaient part au processus judiciaire au Guatémala se sont poursuivis au fil des années. En 1979, une délégation d'Amnesty International avait réuni des informations sur l'exécution extrajudiciaire de dix membres de professions juridiques sur une période de dix mois. Entre janvier 1980 et juin 1981, l'organisation a réuni des informations sur l'exécution extrajudiciaire de huit juges, de cinquante avocats ou chargés de cours à la Faculté de droit de l'Université de San Carlos (USAC), et de cinq étudiants en droit26. Certaines des victimes avaient été tuées par balles en plein jour. Par exemple, le juge Jaime Rafael Marroquín Garrido a été abattu le 9 septembre 1980 à 2h45 de l'après-midi par deux hommes qui se faisaient passer pour des membres de la police. D'autres, comme Alejandro Coti López, de l'association des Etudiants en Droit de l'université de San Carlos, ont été enlevés et torturés, avant d'être tués. Alejandro Coti a été enlevé le 5 mars 1980 à Guatemala City par des hommes circulant dans trois voitures banalisées. Il semble que des membres des forces de police en uniforme, qui se trouvaient à proximité, n'aient rien fait pour empêcher l'enlèvement. Son corps, portant les marques de graves tortures, a été retrouvé le lendemain dans un ravin dans les environs de Guatemala City. Selon les informations parues dans la presse, il avait été ligoté et on lui avait couvert la tête avec une cagoule imprégnée de Gamezan, un insecticide ; cette technique de torture est, semble-t-il, utilisée par la Police nationale.
Il y a eu moins de meurtres de membres du système judiciaire vers la fin des années 80 et le début des années 90, bien qu'au moins trois avocats et un juge aient été victimes d'exécutions extrajudiciaires entre juillet 1994 et janvier 1995. Le juge Edgar Ramiro Elías Ogáldez du tribunal du district de Chimaltenango a été abattu près de l'université de San Carlos le 20 août 1994. Avant de mourir, il avait ordonné la mise en état d'arrestation de deux agents des forces de sécurité pour deux affaires distinctes concernant des meurtres. Des organisations locales des droits humains ont affirmé que ces agents étaient responsables de la mort du juge. L'un d'eux, un haut responsable de la police militaire, a été libéré immédiatement après le meurtre du juge27.
Le président de la Cour constitutionnelle, Eduardo Epaminondas González Dubón, a été abattu dans la nuit du 1er avril 1994 à Guatemala City, deux jours après la signature de l'Accord Global sur les Droits de l'Homme entre le gouvernement et l'URNG. Les auteurs du meurtre étaient des hommes armés en civil qui, selon les organisations des droits de l'homme, opéraient au nom des forces armées. En tant que président de la Cour constitutionnelle, l'intervention de González Dubón afin de faire échec à la tentative le coup d'Etat simulé de mai 1993 avait eu un effet décisif pour que le régime civil reste en place. Le juge avait aussi joué un rôle important dans des affaires pénales contre les militaires de haut rang. En juin 1995, la Supervisión General de Tribunales, Organe de surveillance des tribunaux, a déclaré au sujet de sa mort que "justice n'a pas été rendue avec une diligence ni dans des conditions satisfaisantes". En août 1996, un rapport de la MINUGUA28 indiquait que l'un des suspects attendait d'être jugé29.
Début 1996, Ramsés Cuestas, qui était alors Procureur général, a reconnu que les procureurs du Ministère Public recevaient entre deux et quatre menaces de mort par mois et étaient souvent victimes d'agressions. La MINUGUA a signalé qu'elle avait reçu des informations de même nature, et que l'un des procureurs du ministère public menacés avait effectivement été tué par la suite. Un autre a quitté le pays. Rien de surprenant, dans ces conditions, à ce que des procureurs refusent de traiter les cas liés à des violations des droits de l'homme.
Les cimetières clandestins constituent un témoignage scandaleux de ce que la sale guerre qui sévit depuis trois décennies a pu avoir d'inhumain. Autant de découvertes macabres qui apportent la preuve des souffrances qu'a subit la population civile qui a dû faire face à un mépris absolu de sa vie et de son intégrité physique, exemples d'une cruauté et d'un sadisme tels qu'on ne peut les rencontrer que dans les Etats où règnent despotisme, autoritarisme et intolérance. [...]. La société et les autorités guatémaltèques devraient joindre leurs efforts dans les enquêtes qui seront faites, et la recherche de la justice que réclament des actes aussi criminels, car il sera impossible de parler de paix ou de réconciliation tant que ces crimes horribles, qui vont à l'encontre de la civilisation et de l'humanité, n'ont pas trouvé de solution ; dans certains cas, en effet, ceux qui ont porté plainte ont été victimes de harcèlement et de menaces, et dans d'autres, les exhumations ont rencontré des obstacles, au mépris total des lois.
Rapport annuel 1995, Le Procureur des droits de l'homme, Jorge Mario García Laguardia.
Ces dix dernières années, Amnesty International n'a cessé de faire part de ses préoccupations au gouvernement guatémaltèque, en s'inquiétant de ses carences à faire effectuer des exhumations sur les lieux où l'on estime que se trouvent les restes des victimes d'exécutions extrajudiciaires, à mener des enquêtes judiciaires exhaustives sur les circonstances qui ont entouré la mort des victimes, et à accorder aux victimes et à leurs familles la réparation qui leur est due. Des centaines d'exécutions extrajudiciaires de masse ont jeté dans des fosses communes totalement anonymes des milliers de cadavres non identifiés. Les estimations actuelles avancent le chiffre de 500 cimetières clandestins dans le pays et des exhumations n'ont été pratiquées que dans un petit nombre d'entre eux.
Pendant des années, il a été pratiquement impossible d'effectuer des exhumations au Guatémala par crainte de représailles visant des survivants ou des proches des victimes. Les premières, qui ont eu lieu dans des régions montagneuses lointaines vers la fin des années 80 et le début des années 90, ont été caractérisées par l'insuffisance des procédures utilisées. On a également dit que des éléments de preuve avaient été retirés des fosses communes, et il y a eu des tentatives d'enlèvement et des menaces contre ceux qui demandaient des exhumations ou étaient concernés par celles-ci. Des juges qui s'acquittaient normalement de leur tâche pour ces exhumations ont reçu des menaces et nombreux sont ceux qui ont dû renoncer à poursuivre leurs recherches30.
D'après les organisations des droits de l'homme guatémaltèques, il n'y a eu que huit exhumations de fosses communes entre 1988 et 1991. Pour les autorités militaires, ces cimetières clandestins n'étaient rien d'autre que les lieux où étaient enterrés les guerilleros tués lors des combats par l'armée ou par les Patrouilles civiles de défense. Les uns après les autres, les gouvernements ont montré leur absence de volonté politique de faire procéder à des exhumations ou d'ouvrir des enquêtes sérieuses sur des cas antérieurs de "disparitions" ou d'exécutions extrajudiciaires. Ces dernières années, le Ministère Public a reçu officiellement des plaintes quant à l'existence d'au moins cinquante cimetières clandestins, rien qu'à Rabinal, Baja Verapaz31. Mais il n'y a eu jusqu'à présent qu'un très petit nombre d'exhumations, et il n'existe pas de cas où une exhumation a eu pour effet de traduire en justice un de ceux qui étaient responsables d'avoir autorisé, préparé, ou pratiqué les exécutions extrajudiciaires.
D'autres efforts déployés pour pratiquer des exhumations ont été constamment contrecarrés par les menaces que ne cessaient de recevoir soit les proches des victimes, soit ceux qui effectuaient les exhumations. En 1994, l'Asociación Familiares de los Detenidos-Desaparecidos de Guatemala (FAMDEGUA), Association des familles des détenus disparus, ainsi que l'Oficina de Derechos Humanos del Arzobispado de Guatemala, le service des droits de l'homme de l'archevêché du Guatémala, se sont procuré l'aide de l'Equipo Argentino de Antropología Forense, l'équipe argentine d'anthropologie médico-légale, pour procéder dans les fosses communes à l'exhumation de plus de 350 civils tués en 1982 par l'armée guatémaltèque à Las Dos Erres dans le département d'El Petén, au nord du pays. En juillet 1985, après deux exhumations, l'équipe avait recouvré les restes d'au moins 162 personnes, dont 67 enfants. La FAMDEGUA a déclaré que, pendant les exhumations, les proches des personnes dont les restes avaient été identifiés ont reçu des menaces de mort d'un haut responsable de la police militaire. Début juillet 1995, du matériel appartenant à l'équipe argentine d'anthropologie médico-légale a été volé. Pendant les exhumations, l'équipe de médecins légistes a dû recevoir la protection de la police : des pierres avaient été jetées sur les toits de leurs logements provisoires et des coups de feu avaient été tirés en l'air avec des mitraillettes.
Les efforts qu'a faits la justice pour demander avec insistance que de nouvelles exhumations soient effectuées se sont heurtés à l'absence de coopération de la part des forces de sécurité. Par exemple, en août 1996, lors des investigations menées sur le cas de Las Dos Erres à Petén, le Général Julio Balconi, qui était alors ministre de la Défense, a fait obstruction à l'enquête judiciaire en refusant de transmettre les informations demandées par les tribunaux32. En août 1996, la MINUGUA déclarait que, si les enquêtes sur le massacre de Cuarto Pueblo n'avançaient pas, c'était à cause des retards excessifs dont le juge était responsable et du peu de collaboration de la Police nationale. La Police, faisant fi de la décision du juge, a quitté les lieux avant que l'exhumation ne soit terminée, laissant ainsi les personnes qui y participaient sans protection.
Même lorsque des cas d'exécutions extrajudiciaires ou de "disparitions" commises dans le passé sont parvenues jusqu'aux tribunaux, des obstacles d'ordre juridique ont empêché que les personnes identifiées comme responsables ne soient traduites en justice. Par exemple, des éléments de preuve qui ont été découverts au cours d'une exhumation, ou qui provenaient de témoins du massacre d'Agua Fría, El Quiché, qui avait fait plus de cent victimes le 14 septembre 1982, ont abouti à l'arrestation de trois membres de la Patrouille de Défense civile de Xococ, Rabinal, Baja Verapaz. Les accusés ont demandé à bénéficier d'une amnistie en vertu des dispositions du décret loi 32-88 promulgué le 23 juin 1988. A l'heure où nous rédigions ces lignes, le Tribunal constitutionnel était toujours en train d'examiner l'affaire.
Jusqu'à présent, AI n'a connaissance d'aucun cas où l'exhumation d'une fosse commune ait amené les responsables à répondre de leurs actes devant la justice. Il en est de même pour les affaires où des fonctionnaires de haut rang responsables d'avoir autorisé ou organisé le massacre de personnes ont été identifiés.
Pendant presque tout le XXème siècle, la politique du Guatémala a été dominée par les militaires. Le pays a vécu treize années sous la dictature de Général Jorge Ubico, a connu une succession de gouvernements dirigés par des militaires choisis attentivement par lArmée et par des secteurs dominants de la société guatémaltèque. Il a connu aussi plusieurs coups dEtat où larmée a pris directement le contrôle du pays. Lorsquoccasionnellement des élections ont eu lieu, elles étaient marquées par la fraude, les violences précédant le scrutin et une participation extrêmement faible.
Pour la plupart des observateurs le coup dEtat de 1954, soutenu par les USA et qui renversa le gouvernement élu de Jacobo Arbenz, a ouvert la porte aux militaires qui semparèrent plus ou moins directement des institutions politiques et dominèrent la scène politique jusquen 198633 . Cette mainmise sur les affaires politiques et nationales et sur lappareil détat donnait à larmée une position sans partage pour contrôler la vie de la nation et pour commettre ou laisser commettre sur une grande échelle des violations des droits de lhomme afin de maintenir lordre social et politique.
Dans ces circonstances, les opposants politiques figuraient en bonne place sur la liste des gens à réduire au silence. En 1966, 28 membres du "Partido Guatemalteco del Trabajo" interdit (PGT), le parti travailliste guatémaltèque, ont été enlevés par diverses patrouilles militaires. Les autorités nièrent avoir connaissance de ces cas d'enlèvements, mais quatre mois plus tard, des participants aux arrestations confirmèrent que ces 28 personnes avaient été torturées et tuées. Depuis lors, les opposants politiques au Guatémala ont été systématiquement éliminés jusque dans les années quatre-vingt.
Les attaques ont été exceptionnellement nombreuses à la fin des années 70 et au début des années 80. En 1981 Amnesty International a enregistré les assassinats dau moins 40 politiciens dont plus de la moitié étaient des maires ou des fonctionnaires locaux34 . Entre janvier 1980 et janvier 1982 lorganisation a dénombré quelque 70 exécutions extra-judiciaires et "disparitions" dopposants politiques comprenant 20 Démocrates Chrétiens, 17 membres du "Frente Unido de la Revolucion" (FUR), Front Uni Révolutionnaire et quatre membres du "Partido Revolucionario" (PR), Parti Révolutionnaire35 . Il a été impossible de savoir combien dautres parmi les victimes non-signalées ou inconnues étaient des hommes politiques. Deux des plus importantes personnalités éliminées de la scène politique par des meurtres ressemblant fort à des exécutions étaient Alberto Fuentes Mohr et Manuel Colom Argueta.
LE CAS ALBERTO FUENTES MOHR
Le Député Alberto Fuentes Mohr, économiste, diplomate et lun des dirigeants du "Partido Revolucionario Auténtico" (PRA) Parti Révolutionnaire authentique, a échappé a plusieurs tentatives de meurtre. En 1971, après lune delles, il déclara: "Ils essaient de massassiner parce que jai commis le crime de souhaiter que les droits de lhomme soient respectés dans mon pays, parce ce que jai commis le crime de vouloir aider à faire disparaître la misère insupportable et la terreur dans lesquelles vit la grande majorité des Guatémaltèques". Le 25 janvier 1979 il fut tué au volant de sa voiture à Guatemala City. Le meurtre eut lieu seulement quelques heures avant que son parti ne dépose sa demande dautorisation. Le 29 janvier un témoin du meurtre de Fuentes Morh était assassiné.
LE CAS MANUEL COLOM ARGUETA
Le populaire dirigeant travailliste et ancien maire de Guatemala City, Manuel Colom Argueta et deux de ses gardes du corps ont été abattus le 22 mars 1979 par des hommes armés circulant avec trois voitures et deux motos. Lattaque eut lieu à quelques blocs seulement du quartier général de la police, au centre de Guatemala City. Quelques jours avant, le FUR dont Colom Argueta était le chef de file, avait été enfin légalisé après dix huit ans. Une instruction fut ouverte mais elle na pas beaucoup avancé. Au contraire, le gouvernement du Général Romeo Lucas García essaya de poursuivre pour diffamation des membres de la famille de Colom Argueta qui avaient accusé publiquement le G-2, le service des renseignements de larmée, davoir exécuté le meurtre. Confrontés à des menaces de mort et à des poursuites éventuelles, plusieurs membres de la famille durent sexiler.
Figure 5 : Manuel Colom Argueta, maire de Guatemala City, exécuté extrajudiciairement le 22 mars 1979.
Pendant des dizaines dannées, les syndicalistes ont été la cible constante dattaques par les régimes militaires ou civils au Guateémala à cause de leurs efforts pour former des syndicats et défendre les droits des travailleurs. En 1954, avant le début du conflit armé au Guatémala, le gouvernement du Général Castillo Armas mit hors la loi les fédérations de syndicats les plus importantes, jeta en prison les dirigeants travaillistes et fit tuer au moins 200 syndicalistes importants à quelques semaines du coup dEtat soutenu par les Etat -Unis qui renversa le gouvernement de Jacobo Arbenz.
En 1976, les syndicats du Guatémala ont commencé à se réorganiser .Pendant une bonne partie des dix années suivantes, ses membres furent systématiquement et délibérément tués ou "disparurent" . Pendant cette période Amnesty International a étudié des centaines de cas où des syndicalistes ont "disparu", ont été assassinés ou torturés pour leurs activités légitimes ou parce qu'on les soupçonnait dêtre membres de lopposition armée. Entre mai 1978 et mai 1979 Amnesty International a recensé 11 meurtres et 12 cas de "disparition" de syndicalistes.36 En 1981 lorganisation a enregistré 44 cas de "disparitions" de syndicalistes à Guatemala City seulement.
Cette terrible répression a affaibli le mouvement syndical au Guatémala et dissuadé les gens de rejoindre ses rangs. En 1974, moins de 2 % de la population active était syndiquée. Au début des années 90 ce chiffre était passé à environ 4 %, bien en dessous des 10 % de 1953.
LE CAS DES 27 SYNDICALISTES DU CNT
Vingt sept syndicalistes, hommes et femmes, ont "disparu" le 21 juin 1980 . Ils ont été arrêtés ce jour là pendant une réunion au siège de la Fédération "Central Nacional de Trabajadores" (CNT), Union Nationale des Travailleurs où ils organisaient les funérailles dun dirigeant du CNT qui venait dêtre torturé et tué. La rue fut fermée à la circulation par des agents de la police nationale en uniforme, tandis quune soixantaine dhommes en civil pénétraient au siège du CNT dans le centre de Guatemala City . Les 27 syndicalistes furent emmenés dans des Jeeps Toyota banalisées . Le Ministre du Travail de lépoque déclara plus tard que les syndicalistes avaient été relachés, en contradiction avec des déclarations antérieures du gouvernement qui niait les arrestations.
Un des dirigeants syndicaux, qui senfuit plus tard au Mexique, séchappa par les toits, doù il reconnut lhomme qui commandait lopération : cétait le chef du bureau des narcotiques de la police de Guatemala City. Selon certains renseignements plusieurs voitures appartenant aux syndicalistes enlevés, furent retrouvées ensuite dans les garages de la Police nationale.
Malgré les campagnes incessantes dorganisations nationales et internationales, y compris Amnesty International, pour connaître le sort des vingt sept dirigeants du CNT, on ignore toujours ce quil est advenu deux. Aucune enquête approfondie na été conduite par les autorités malgré les nombreux renseignements sur leur "disparition" et ses auteurs probables.
LE CAS JOSE ROLANDO PANTALEON
Figure 6 : José Rolando Panteón avec le groupe de comédiens de rue, torturé et tué le 2 juillet 1989.
José Rolando Pantaleón, un syndicaliste représentant chez Coca-Cola, avait reçu des menaces de mort répétées. Le 2 juillet 1989 à 10 heures du matin, il fut enlevé, pense-t-on, par des membres de la Police nationale, puis torturé et tué37. La police prévint sa femme à 16 heures le même jour, quelle pouvait reprendre le corps de son mari à la morgue. Des gens qui virent le cadavre ont déclaré que le peau avait été arrachée du dos, la mâchoire semblait brisée et il avait reçu cinq coups de feu.
Pendant le conflit armé intérieur, le clergé guatémaltèque et étranger, les catéchistes et les auxiliaires laïcs ont été constamment pris pour cibles. Ceux qui organisaient la défense des conditions de vie des pauvres étaient particulièrement menacés38 . Un des cas des plus connus fut celui de Bill Woods, un prêtre américain qui collectait des fonds aux USA pour acheter des terres dans la région du Ixcán et a organisé plus de deux mille familles en coopérative pour produire du bétail, du café et de la cardamome. En 1976, il fut tué dans un accident davion bizarre. Des travailleurs de la région prétendirent que le petit appareil avait été abattu par des soldats. Peu avant sa mort, Bill Woods avait signalé aux autorités américaines que sa vie était menacée. Son successeur allemand, le Père Carlos Stetter fut expulsé et accusé dêtre un "étranger indésirable" et davoir des activités sans rapport avec son ministère. De telles expulsions ont fréquemment été utilisées pour se débarrasser de ceux qui en défendant les pauvres apparaissent subversifs aux élites économiques.
LE PERE HERMOGENES LOPEZ COARCHITA
Fin juin 1978, le Père Hermogenes López Coarchita, qui fut durant douze ans curé de la paroisse de San José Pinula près dAntigua, Guatémala, a été assassiné par des inconnus comme il sortait de chez un paroissien mourant à qui il avait administré les derniers sacrements. Le jour même le télégramme suivant fut envoyé à la presse par des membres de larmée et par le Mouvement de Libération Nationale, un parti politique de droite :
LE 30 JUIN, JOURNEE DE LARMEE, LES JEUNES OFFICIERS PATRIOTES ET LES MEMBRES DU MOUVEMENT DE LIBERATION NATIONALE VONT PRENDRE LE POUVOIR ET EXECUTER TOUS LES COMMUNISTES DU GUATEMALA Y COMPRIS LES RESPONSABLES DE LEGLISE
POUR UN GUATEMALA MEILLEUR.
ARMEE NATIONALE (JEUNES OFFICIERS), MOUVEMENT DE LIBERATION NATIONALE
HONNEUR, PATRIE, LIBERTE
Le Père López avait aidé des communautés paysannes à défendre leur droit à leau contre un projet de la compagnie Aguas S.A. qui proposait de détourner leau de dix rivières pour approvisionner Guatemala City. Les organisations paysannes soutenaient que quelque 40 000 familles dépendaient de leau pour lirrigation. En avril 1978, le "Comité de Unidad Campesino" (CUC), Comité dUnité Paysanne, sest formé et a organisé une marche dans Guatemala City pour protester contre les projets de la compagnie. Avant sa mort, le Père López avait également enquêté sur des programmes de vaccination gouvernementaux qui auraient conduit a des stérilisations de jeunes gens indigènes et de quelques femmes indigènes qui auraient été stérilisées contre leur gré.
Le Père López avait reçu des menaces depuis quatre ans. Trois semaines avant son assassinat, il avait prévu sa propre mort dans une lettre aux autorités ecclésiastiques et avait exposé des détails dun plan pour le tuer pendant une messe de village. Plus de mille paysans défilèrent à Guatemala City pour protester contre cet assassinat.
Le meurtre du Père López a donné le signal dune sanglante campagne contre les membres de lEglise du Guatémala. Entre avril 1980 et Juillet 1981, Amnesty International a enregistré neuf cas de prêtres catholiques qui, croit-on, ont "disparu" ou ont été tués par des agents des forces de sécurité. Entre 1982 et 1983, lorganisation a reçu des informations détaillées sur lassassinat en masse de catéchistes. Des témoins oculaires ont décrit des événements au cours desquels au moins cinquante catéchistes ont été assassinés pendant des attaques de larmée sur leur village. Certains furent étranglés, dautres pendus aux arbres, dépecés à la machette ou enfermés en groupe dans les églises et brûlés vifs.
Le 8 novembre 1953, un franciscain, le Père Augusto Ramírez Monasterio a été abattu à Guatemala City par des membres présumés dun "escadron de la mort". Cinq mois plus tôt, il avait été arrêté et torturé par des soldats qui lavaient interrogé sur ses prétendus liens avec des "subversifs."
Souvent des auxiliaires religieux qui secourent les migrants et les pauvres sont qualifiés de criminels pour légitimer les attaques contre eux. Selon des sources de lEglise du Guatémala, Felipe Balán Tomás, un catéchiste catholique, membre des Missionnaires de la Charité, a été enlevé le 9 février 1985 par des hommes armés quon croit être liés aux forces de sécurité pendant quil assistait à loffice à Las Escobas dans la municipalité de San Martin Jilotepeque, Chimaltenango. Felipe Balán est toujours porté disparu et les circonstances entourant sa "disparition" restent inconnues.
Bien que beaucoup de ces crimes aient souvent eu lieu devant témoins les faits entourant les événements nont pas encore été élucidés. Par exemple, le 18 mai 1985 un catéchiste, Partrocinio Gertrudis Pérez Ramírez a été enlevé de la colonie de Buenos Aires, Tenedores, Morales, Izabal par trois hommes armés accompagnés de soldats. Rafael Yos Muxtay, catéchiste et travailleur social de Patzún, Chimaltenango, qui soccupait de veuves, dorphelins et de personnes déplacées, a été enlevé, le 22 novembre 1985, par des membres des forces armées qui se sont emparé de lui devant témoins. Luis Che, un catéchiste de El Estor, Chimaltenango, a été enlevé sur la place du marché de la ville, devant des témoins, le 23 octobre 1985, par deux soldats en uniforme. Le lendemain on retrouva son corps dans le lac Izabal. En tout, 9 catéchistes du diocèse de San Pedro ont été assassinés par des membre présumés des forces de sécurité entre janvier 1981 et octobre 1995.
LE CAS DE JULIO QUEVEDO QUEZADA
Julio Quevedo Quezada, agronome, a été abattu par balle à Santa Cruz del Quiché en juillet 1991 dans des circonstances qui donnent fortement à penser que les forces de sécurité ne sont pas étrangères à ces faits. Ce cas est encore l'un de ceux qui restent en attente d'enquête. Selon certains responsables de l'Etat, il s'agissait d'un crime passionnel.
Julio Quevedo Quezada travaillait à des projets de développement agricole en tant que membre de l'équipe pastorale du diocèse d'El Quiché. D'après certaines sources guatémaltèques, il a été tué en raison de son travail en faveur des femmes devenues veuves à la suite de campagnes anti-insurrectionnelles menées par l'armée au début des années 80 ou en faveur des personnes déplacées.
A l'époque où il a été tué, le diocèse d'El Quiché subissait les critiques d'éléments d'extrême droite qui lui reprochaient ses activités en faveur des personnes déplacées dans les zones rurales très éloignées.
L'assassinat de Manuel Saquic Vásquez
Le corps de Manuel Saquic Vásquez, pasteur évangéliste, a été retrouvé dans une tombe anonyme le 7 juillet 1995. Il avait eu la gorge tranchée et il avait reçu 33 coups de couteau. Manuel Saquic Vásquez, coordonnateur d'un Comité des Droits de l'Homme Kaqchikel Maya à Panabajal, département de Chimaltenango, avait "disparu" à la suite de son enlèvement le 23 juin. Des témoins ont vu des membres du CVDC se saisir de lui. Les habitants du Panabajal sont convaincus qu'il a été assassiné en représailles de son action pour les droits de l'homme et parce qu'il était le seul témoin du bref enlèvement antérieur d'un autre membre du Comité des Droits de l'Homme de Panabajal, également par des membres du CVDC.
En août 1995, un mandat d'arrêt a été délivré contre un officier de l'armée censé être impliqué dans l'assassinat de Manuel Saquic Vásquez, mais en octobre 97 on indiquait qu'il se cachait toujours, protégé par l'armée selon certaines allégations. Après le début de l'enquête sur l'assassinat de Manuel Saquic Vásquez, des membres de sa famille ont reçu de multiples menaces de mort, ainsi que d'autres militants religieux du département de Chimaltenango qui faisaient campagne pour réclamer justice dans cette affaire.
En août 1996, des organisations des droits de l'homme qui participaient à une commission inter-gouvernementale créée pour enquêter sur la mort de Manuel Saquic Vásquez ont cessé de collaborer à la suite du refus, de la part du représentant de l'armée, de remettre à la commission ou au Ministère Public un rapport de l'armée concernant la mort de Manuel Saquic Vásquez. Le représentant de l'armée a aussi accusé les défenseurs des droits de l'homme de tenter de discréditer le Guatémala devant la communauté internationale. Bien que le Ministre de la Défense, le Général Julio Balconi, ait promis, dit-on, des mesures disciplinaires contre le représentant de l'armée responsable de ces accusations, les renseignements dont nous disposons indiquent qu'il n'en a rien été.
Militants pour la terre et les indigènes
A différentes époques, au cours du conflit prolongé au Guatémala, des centaines de membres des couches les plus pauvres de la société guatémaltèque, dont la majorité étaient des indigènes Mayas, ont été assassinés, torturés, ont "disparu", ou été victimes de menaces de mort et d'intimidation. Etaient spécialement visés ceux qui faisaient campagne sur les questions les concernant, et principalement pour leur protection, leur droit de conserver ou de reprendre la terre sur laquelle ils déclaraient avoir des droits, ou pour qu'ils reçoivent des compensations pour leur terre perdue.
Le droit à la terre et le contrôle des ressources naturelles sont des facteurs clés pour la compréhension des causes fondamentales du conflit armé interne au Guatémala. L'économie de ce pays, tournée vers l'exportation, est à prédominance agricole, les productions principales étant le café, le sucre, les bananes, le coton et la cardamome. D'après le recensement national de 1980, à cette époque-là, 2% des propriétaires possédaient 65 % des terres cultivées. A l'autre extrémité du spectre, 78 % des petits fermiers en avaient au total 10 %. Plus de 70 % de la population guatémaltèque est rurale et vit dans une extrême pauvreté.
Bien qu'Amnesty International ne prenne pas position sur les rivalités de droit à la possession de la terre, ni sur les questions concernant les décisions judiciaires relatives à sa jouissance, l'organisation a plusieurs fois exprimé sa préoccupation, au cours de la période concernée devant les nombreuses et sérieuses violations des droits de l'homme subies par des Guatémaltèques en raison de leurs efforts pour défendre et revendiquer leur droit à la terre.
Le massacre de Panzós
Parmi les exécutions extrajudiciaires massives les plus connues liées aux problèmes du droit à la terre intervenues à la fin des années 70, on citera celle du 29 mai 1978, dans la ville de Panzós (Alta Verapaz), où de nombreux indigènes Quiches ont été abattus par l'armée. Environ 700 habitants Quiches des villages voisins sont arrivés pour protester devant le maire contre les tentatives de gros propriétaires de les expulser d'une terre que leurs familles exploitaient et sur laquelle ils vivaient depuis un siècle parfois.
Sur la place principale de la ville, les manifestants furent encerclés par un groupe de propriétaires et un détachement de soldats. Selon certains témoignages, alors que les manifestants attendaient que le maire apparaisse, un des responsables, ou les propriétaires, ont donné l'ordre d'ouvrir le feu sur la foule. De nombreuses personnes ont été tuées et beaucoup d'autres blessées. La place s'est complètement vidée en quelques minutes. Des centaines de ceux, nombreux, dont on a perdu la trace, se sont sans doute noyés en tentant de traverser la rivière voisine pour s'échapper. Des membres de l'unité anti-insurrectionelle spéciale de l'armée, appelée Kaibiles (Dieu de la guerre), ont été amenés par hélicoptère et ont bloqué la ville. Ni la Croix Rouge, ni les journalistes, n'ont été autorisés à pénétrer dans ce secteur. Les cadavres ont été chargés sur des camions par les survivants et déversés dans une fosse commune.
A l'époque du massacre, le gouvernement du Guatémala a publié un communiqué de presse déclarant que des "guerrilleros" avaient été tués lors d'une attaque surprise de la garnison militaire de Panzós. Le Ministre de la Défense de l'époque, le Général Otto Spiegler, a attribué l'agitation paysanne et les conflits de la terre dans cette région à des guerrilleros de gauche et autres "éléments subversifs", comprenant des "prêtres catholiques et des pasteurs protestants".
Certains observateurs soutiennent que ce massacre a été délibérément perpétré en public pour terroriser toute la population et la faire renoncer à ses exigences sur la terre et la justice sociale. D'autres disent que ce massacre ne peut se comprendre sans tenir compte de la découverte récente de nickel et de pétrole dans ce secteur. L'augmentation spectaculaire du prix de la terre qui en résulta fut accompagnée de l'expulsion des paysans de leurs terres par les nouveaux propriétaires, généralement avec l'aide de l'armée et des autorités locales. Le Président en exercice, le Général Romeo Lucas García (juillet 78 - mars 82) possédait, dit-on, 31 200 hectares près de Panzós. Son Ministre de l'Agriculture, le Général Rubio Coronada, et le Ministre de la Défense étaient également classés parmi les gros propriétaires de l'Alta Verapaz.
Plus de 20 ans après, personne n'a jamais été mis en cause pour le massacre de Panzós, et les familles des victimes n'ont pas été dédommagées. Les exhumations pratiquées en 1997 ont mis à jour les restes de 34 personnes dans une seule fosse commune, et de deux autres dans une tombe voisine. Avant d'être jetées dans la tombe, les femmes avaient été dévêtues. L'une de ces femmes était, dit-on, Mama ó, l'une de celles qui dirigeaient le mouvement de protestation contre ceux qui tentaient de les expulser de leur terre. Selon les témoignages recueillis par les médecins légistes, de nombreuses autres victimes du massacre de Panzós sont enterrées dans leur maison ou dans la campagne avoisinante, là où elles sont mortes de leurs blessures.
La "disparition" d'Arnoldo Xi
Le massacre de Panzós n'a pas été un incident isolé. Les militants de la terre et de la cause indigène ont été systématiquement pris pour cible pendant encore près de 20 ans. La "disparition", le 23 mars 1995, d'Arnoldo Xi, éminent dirigeant de communauté et militant de la terre, est un autre exemple du type d'atrocités commises contre les militants.
Arnoldo Xi a été enlevé par des agents de sécurité privés lourdement armés39 qui ont ouvert le feu sur lui et sur son compagnon alors qu'ils marchaient sur une route près de la communauté de Matucuy, à Purula, département de Baja Verapaz. Selon son compagnon, qui est parvenu à s'échapper sans être blessé, Arnoldo Xi a été blessé, traîné dans la jeep des assaillants et emmené. On ne sait pas où il se trouve malgré le dépot de deux requêtes d'"habeas corpus".
Des organisations guatémaltèques des droits de l'homme ont déclaré que des agents armés de sécurité privés employés par le propriétaire et responsables devant la Police nationale étaient les auteurs des coups de feu et de l'enlèvement d'Arnoldo Xi. On n'a pratiquement pas progressé dans l'enquête sur la "disparition" d'Arnoldo Xi. Une personne semble avoir été arrêtée sur la base de preuves trouvées sur les lieux du crime, en relation avec la "disparition" d'Arnoldo Xi, mais elle a été libérée par la suite. Au cours de la période concernée, les violations des droits de l'homme de ce genre contre des indigènes, ne faisaient que rarement, voire jamais, l'objet d'une enquête adéquate par les autorités.
Arnoldo Xi avait été impliqué dans un conflit de la terre entre des membres de la communauté Tixila, à Purula (Baja Verapaz), et un propriétaire local qui voulait que les paysans quittent la terre qu'il prétendait lui appartenir. Les paysans, qui cultivaient cette terre depuis plusieurs années, avaient contesté les titres de propriété foncière de cet homme. Arnoldo Xi était aussi membre de la Coordinadora Nacional Indigena y Campesina (CONIC), ou Coordination Paysanne et Indigène Nationale, et Vice-Président du Comité de Pro-Mejoramiento de Tixila, Comité pour le progrès de Tixila.
Destruction de communautés rurales au début des années 80
La répression militaire la plus violente et la plus sanglante de l'histoire des violences politiques au Guatémala est intervenue au début des années 80 dans les régions de montagne reculées du pays40. Certains spécialistes considèrent les tueries perpétrées par les forces de sécurité guatémaltèques à cette époque-là comme génocidaires, d'autres retiennent le terme d'ethnocide du fait que l'écrasante majorité des victimes étaient des indigènes Mayas41. Voici l'explication fournie par un analyste de la situation : "Cependant que l'agression par les militaires touchait tous les niveaux de la société guatémaltèque au début des années 80, la nature des persécutions variait suivant les origines ethniques, la classe sociale et la religion. Les étudiants, les professeurs, les avocats, les docteurs et la plupart des ladinos étaient généralement traqués individuellement. Au contraire, les Indiens des montagnes et des plaines du nord étaient persécutés en tant que groupes ou communautés42.
A ce stade du conflit, les forces armées gualtémaltèques ont adopté une politique anti-insurrectionnelle plus agressive, recourant à la "terre brûlée", et à "priver le poisson d'eau". Ceci visait à écraser l'opposition croissante de la guerrilla et impliquait l'élimination totale de tout soutien, quel que soit son niveau, que les guerilleros auraient pu trouver auprès de la population rurale non-combattante.
Au cours des années 70, de nombreuses communautés indigènes s'étaient organisées en coopératives et dans certains cas, avec le soutien de l'Eglise, avaient lancé des programmes d'éducation qui comprenaient l'élévation du niveau de conscience politique et culturelle. De telles intiatives, ressenties comme une menace par les gens au pouvoir, fournissaient une nouvelle justification pour les atrocités commises au début des anées 80.
A partir de mars 1982, Amnesty International a reçu des informations subtantielles selon lesquelles des tueries à grande échelle se déroulaient dans tout le pays. Bien que certaines aient pu être le fait de groupes armés d'opposition, la grande majorité étaient des exécutions extrajudiciaires commises par des membres des forces armées ou leurs auxiliaires civils. Le nombre exact des victimes est inconnu, mais d'après les estimations le chiffre s'élève à des dizaines de milliers de personnes. En juillet 1982, Amnesty International a publié une liste de plus de 50 massacres, ayant fait, semble-t-il, plus de 2000 victimes au cours d'incidents signalés entre mars et juin de cette année-là 43 .
Les départements de Huehuetenango, El Quiché et Chimaltenango, ainsi que le Verapaces, où les groupes armés d'opposition étaient les plus actifs, ont soutenu tout le poids des massacres de l'armée. Ceux qui ont été perpétrés dans des régions plus reculées, comme la zone de jungle presque inaccessible du département de Petén à l'extrême nord du pays, ont probablement été minimisés. Selon des sources liées à l'Eglise Catholique, environ 440 villages ont été complètement détruits et environ 150 000 personnes ont été tuées ou ont "disparu".
Des milliers de guatémaltèques fuyant les massacres ont établi des camps de réfugiés au Chiapas, dans le sud du Mexique. Beaucoup se sont cachés dans des villes et villages du sud de ce pays où des liens culturels et ethniques leur permettaient de passer presque inaperçus. D'autres se sont enfuis au Salvador, aux Etats-Unis, et ailleurs dans le monde. La majorité des centaines de milliers de personnes qui ont abandonné leur maison pendant cette période sont restées au Guatémala, se cachant dans les montagnes, les grandes villes, les régions côtières ou d'autres zones où elles espéraient dissimuler leur identité et leur origine.
De nombreux récits décrivant les atrocités ont été faits par des témoins oculaires réfugiés au Mexique. Là, ils ont raconté ce qui arrivait aux militants religieux ou à ceux qui aidaient les réfugiés. Le diocèse de San Cristóbal de las Casas au Chiapas a publié une déclaration selon laquelle, d'après le témoignage de nombreux réfugiés "Ils (les soldats guatémaltèques) ont éventré des nourrissons et les ont laissé mourir dans d'horribles souffrances devant leurs mères. Ils tuent d'autres personnes avec des machettes ou par pendaison, ou par noyade dans les rivières, ou bien ils leur brisent tous les os et les laissent mourir. Rien de cela n'est inventé ni exagéré. De nombreux témoignages en font foi. La vision des visages des survivants est horrible".
Amnesty international a reçu des centaines de récits détaillés de ces tueries et de la destruction systématique des villages et des récoltes, qui répandaient la terreur dans les campagnes. Les descriptions suivantes montrent que les massacres étaient soigneusement préparés et exécutés par des membres spécialement entraînés des forces armées guatémaltèques.
Cuarto Pueblo - le cas des Coopératives d'Ixcán Grande
Cuarto Pueblo est un petit marché prospère et l'un des 5 premiers centres de la Coopérative d'Ixcán Grande, El Quiché, créée par des gens venus dans cette région à la recherche de terres fertiles dans les années 70. Le dimanche 14 mars 1982, jour du marché, où de nombreuses personnes affluent pour vendre leurs produits, les soldats guatémaltèques ont pénétré dans le village et ont tué 300 personnes. Les survivants du massacre se sont enfuis au Mexique où ils ont cherché refuge, ou se sont cachés dans les zones proches de la jungle d'Ixcán où ils ont rejoint plus tard d'autres personnes déplacées qui avaient fui des massacres semblables et formé les Comunidades de Población en Resistencia (CPRs), Communautés de Population en Résistance.
Un résistant a réussi à échapper aux soldats en se cachant sous des cadavres et en faisant le mort. Un autre s'est caché sous un rondin. Parmi les autres témoins, certains sont parvenus à s'enfuir dans la jungle voisine d'où ils ont observé la scène, et d'autres n'étaient pas encore arrivés au marché, mais ont pu voir ce qui se passait depuis les collines voisines.
Selon ces témoins, environ 400 soldats de la Zone Militaire N°22 de Playa Grande (Ixcán), département d'El Quiché, ont encerclé la ville vers 10 h du matin le 14 mars. Ils n'en sont repartis que le 16 mars. A ce jour, les hommes, les femmes et les enfants entre 2 mois et 82 ans avaient été tués et la colonie complètement rasée.
La tuerie de Cuarto Pueblo a été menée suivant un plan opérationnel clair que les soldats avaient été préparés à exécuter. Cette procédure est confirmée par des témoignages concernant d'autres massacres. La première étape consistait à séparer les hommes des femmes et des enfants et à les enfermer dans divers bâtiments communautaires. Les témoins de Cuarto Pueblo se souviennent que les femmes étaient détenues à l'école et dans le hangar qui sert à faire sécher la cardamome. Beaucoup de femmes ont été violées par les soldats et elles leur ont aussi servi de cuisinières pendant les trois jours où ils ont occupé la colonie. Les enfants étaient gardés dans la vieille école et le dispensaire où des témoins disent que les soldats ont mis le feu.
La fusillade a commencé presque tout de suite, quand les soldats ont tué ceux qui tentaient de s'échapper. Un des survivants qui se cachait près de l'église évangélique a vu un soldat tuer un bébé qui pleurait, assis près de sa mère morte. "Il y avait un enfant, et le soldat s'est saisi de lui. Il a dit : "Nous devons le tuer". Il l'a pris par la jambe et lui a fracassé la tête sur le sol et l'a laissé là, par terre."44
Le dimanche après-midi les soldats, apparemment sous les ordres du lieutenant, ont commencé à abattre et à torturer ceux qui étaient parqués sur la place du marché, au magasin de la coopérative et au centre communautaire. Les bâtiments ont été aspergés de fioul et incendiés avec les corps à l'intérieur.
Le lundi, l'armée a détruit et brûlé l'église évangélique. Selon des témoins, les gens ont été brûlés vifs à l'intérieur. Un survivant se souvient que le lieutenant chargé des opérations a commandé aux soldats de tuer tous les habitants en disant : "Il faut les achever, pour en finir avec les guerilleros. Les femmes leur préparent à manger, et les hommes les aident. Nous allons les exterminer, comme ça il ne restera personne pour les aider (les guerilleros). "45
A la suite d'une plainte officiellement déposée auprès du Ministère Public par les habitants de Cuarto Pueblo le 24 mars 1995, on a procédé à des exhumations entre juin 1995 et mai 1996. Des indices découverts par l'Equipo de Antropología Forense de Guatemala (EAFG), Equipe d'Anthropologie Médico-Légale du Guatémala, ont confirmé les témoignages des survivants. Ils ont montré que des lieux précis avaient servi pour l'exécution des victimes, et que les corps avaient été incinérés pendant de longues périodes avec des combustibles hautement inflammables qui les réduisaient en cendres, rendant impossible de déterminer le nombre de tués. Mais des cartouches ont été trouvées dans les cendres.
Le massacre de Cuarto Pueblo fait partie d'une série de massacres qui auraient été exécutés par la même patrouille de l'armée dans la région d'Ixcán. Des membres de la communauté de Cuarto Pueblo se souviennent d'avoir su, à l'époque, que l'armée avait attaqué des villages de l'autre côté de la rivière Xalbal. Certains d'entre eux avaient entendu des coups de feu et vu la fumée du massacre du 20 février dans le Polygone 14 voisin. Ces évènements avaient fait naître une atmosphère de peur et d'appréhension, mais personne n'avait imaginé à quelle échelle l'offensive était menée.
Parraxtut, Sacapulas, El Quiché
De nombreux massacres ont été commis par des Patrouilles de Défense Civile. Selon les récits existants, y compris celui fait par l'un des participants à une religieuse qui a enregistré son témoignage, ces forces auxiliaires auraient été responsables de l'assassinat de 300 personnes du village de Parraxtut, Sacapulas, département d'El Quiché. L'armée guatémaltèque est entrée au village de Chiul, Cunen, El Quiché, le mercredi 22 décembre 1982, et ont ordonné à tous les membres de la Patrouille de Défense Civile de la ville de se rassembler le plus vite possible. Les hommes auraient alors reçu l'ordre d'un capitaine de l'armée de marcher sur le village voisin de Parraxtut. Là, l'armée avait déja rassemblé les villageois avant que la Patrouille de Défense Civile de Chiul n'arrive à Parraxtut. Les membres de cette Patrouille ont aidé à finir de rassembler ceux qui habitaient dans des maisons à l'écart du village, et à les répartir par groupes : hommes, femmes et enfants. Le capitaine ordonna alors aux membres de la Patrouille de Défense Civile de Chiul de tuer tous les hommes de Parraxtut avec des fusils donnés par les soldats.
Selon des témoignages, les femmes les plus âgées ont été tuées tout de suite. Les plus jeunes ont été violées ce soir-là par des soldats, et tuées le lendemain, sauf une qui fut emmenée sur ordre du capitaine. On ne sait toujours pas ce qu'elle est devenue. Beaucoup d'enfants du village se seraient échappés pendant la nuit, mais beaucoup seraient morts de blessures subies au cours de l'attaque, ou de manque de soins.
Le massacre de San Francisco
Selon les rares survivants, environ 600 soldats sont arrivés à pied à San Francisco (Nentón), département de Huehuetenango, le samedi 17 juillet 1982 à 11 h du matin. Un hélicoptère tournait dans les environs et a fini par atterrir. Les militaires étaient accompagnés d'un ex-guerrillero en uniforme militaire qui jouait apparemment le rôle d'informateur de l'armée. Les gens furent alors invités à se rassembler pour un échange de vues avec le colonel.
C'était le premier jour où la nouvelle Patrouille de Défense Civile devait entrer en service. Certains survivants ont dit que la patrouille, formée de 21 hommes, fut emmenée du village peu après l'arrivée de l'armée. On ne les a plus jamais revus et on les suppose morts.
D'après les témoignages ultérieurement recueillis de la bouche des survivants par des prêtres, les villageois reçurent d'abord l'ordre de décharger les réserves de nourriture des soldats de l'hélicoptère. Puis les hommes furent enfermés au tribunal et les gens durent fournir deux têtes de bétail pour nourrir les soldats. Les femmes furent enfermées dans l'église; beaucoup d'entr'elles portaient des enfants attachés sur leur dos. A 1 heure de l'après-midi, les soldats commencèrent à abattre les femmes.
Celles qui avaient survécu à la première fusillade furent emmenées par petits groupes dans différentes maisons et tuées, apparemment à coups de machette. Les maisons furent ensuite incendiées. Un enfant d'environ 3 ans était éventré, mais continuait à hurler. Un soldat écrasa alors la tête de l'enfant avec un piquet, puis le balança par les pieds et le jeta dans une maison en feu. "Oui", dit le témoin, "Je l'ai vu. Oui, j'ai vu quand ils l'ont jeté, quand ils lui ont tapé très fort sur la tête. Ils l'ont jeté dans la maison".
Ce témoin poursuit : "A 3 heures, ils s'en sont pris aux hommes. Ils les ont fait sortir du tribunal par petits groupes et les ont mitraillés. Ca n'arrêtait pas. Ils attachaient les mains des hommes et puis "pan ! pan !" On ne les voyait pas, on entendait seulement le bruit des armes. Cette tuerie a eu lieu dans la cour du tribunal, et ensuite ils ont jeté les corps dans l'église. Ils ont tué trois vieillards avec une manchette émoussée, comme on tue un mouton. Ils les ont égorgés."
Un autre témoin a décrit comment les vieux ont été tués. "Il les ont tirés dehors et frappés au couteau. Il les poignardaient et les découpaient comme si c'était des animaux, et ils riaient en les tuant. Il les tuaient avec une manchette qui ne coupait plus. Ils ont mis un vieillard sur une table, lui ont ouvert la poitrine, à ce pauvre homme, qui était encore vivant, et puis ils ont commencé à l'égorger. Ils lui ont lentement coupé la gorge. Il souffrait beaucoup. Ils coupaient les gens sous les côtes, le sang giclait et ils riaient."
"A ce moment-là, il était environ 6 h 30. la nuit tombait. Ils ont jeté une bombe dans un coin du tribunal. Il y avait du sang et deux hommes ont été tués. Le sang coulait très fort. J'en avais partout. Puis ils ont tiré sur ceux qui restaient dans le tribunal. Ensuite ils ont jeté les corps en tas. Ils les tiraient par les pieds, comme des animaux. Ils m'ont jeté sur le tas de cadavres."
Ce témoin s'est enfui en grimpant pour passer par une fenêtre ouverte du tribunal. Quatre personnes tentèrent de s'échapper ainsi mais l'une se fit tirer dessus et fut tuée. Sur la route, le témoin rencontra un autre survivant qui s'était aussi évadé par la fenêtre. Ils arrivèrent ensemble au Mexique le lendemain. Parmi les autres survivants parvenus au Mexique il y avait des gens qui travaillaient dans les champs à l'arrivée de l'armée et qui étaient restés hors de la ville en entendant les coups de feu. Un homme a déclaré : "J'étais sûr que nous allions être tués et j'ai décidé de me cacher". Sa femme et ses neuf enfants ont été tués.
Un prêtre du Mexique a recueilli ce récit d'un villageois des alentours de San francisco qui avait fui la région ultérieurement : "Beaucoup avaient été brûlés, et d'autres décapités. Ils avaient arrachés les intestins de certains. Les corps étaient entassés dans le tribunal et dans quelques maisons. Les chiens avaient commencé à manger les corps qui n'avaient pas été brûlés. L'odeur était affreuse ... Ils ont laissé en vie une fille de 13 ans à qui il manquait un pied. Elle était seule dans une maison, une des rares qui n'avaient pas brûlé. Elle m'a dit que les membres de sa famille avaient été tués".
Un prêtre étranger, résident dans le secteur, a entendu raconter par un habitant d'un village voisin qu'il avait vu la fumée monter de San Francisco, et avait compris que l'armée brûlait le village. Le soir l'homme alla à San Francisco voir ce qui s'était passé. Il vit "des cadavres partout, des enfants sans tête ou les bras sectionnés, des femmes éventrées, leurs intestins arrachés. Ils en avaient fait autant à beaucoup d'enfants plus âgés". Le même prêtre a rapporté plus tard que les habitants de Bulej, un village voisin, avaient reçu l'ordre d'aller à San Francisco enterrer les restes des morts.
Une liste des victimes de San Francisco a été dressée au Mexique le 5 septembre 1982 par un jeune homme et deux ou trois hommes plus âgés, qui ont demandé aux survivants de nommer les morts de leur famille, pour que ces noms puissent être lus lors d'une messe célébrée à La Gloria, au Chiapas. La liste comprenait 302 noms. 91 d'entre eux étaient des enfants de moins de 12 ans.
D'autres réfugiés ont mentionné des massacres moins massifs dans des hameaux voisins, aussi bien avant qu'après l'incident de San Francisco, ce qui laisse penser que le secteur avait été soumis à un "ratissage" par l'armée à la mi-juillet. Des témoignages signalent que l'armée est allée à Yalambojoch et y a tué des villageois, en traversant d'abord Yaltoyas où 30 personnes ont été tuées. L'armée a également tué 15 femmes et 15 enfants sur la route qui part de Yalambojoch.
Pendant des décennies, AI a rapporté des milliers datrocités dont étaient victimes les femmes guatémaltèques en raison de leurs activités dans différents domaines comme les syndicats, les églises, les organisations populaires. Les femmes étaient aussi particulièrement touchées en raison de leur travail en tant que journalistes, infirmières, universitaires, étudiantes, ou de leurs activités politiques ou communautaires. Beaucoup dentre elles recherchaient la vérité et la justice au sujet de leurs proches qui avaient "disparu" ou avaient été tués. Le prétexte fréquemment avancé pour justifier une telle répression était que leurs activités étaient trop politiques ou "subversives".
Les femmes guatémaltèques, certaines étant enceintes et beaucoup indigènes, ont été lobjet de toutes sortes dhorribles violations des droits de lhomme de la part de la police et de larmée guatémaltèques.
A la fin des années 70, des femmes à la tête de mouvements syndicaux ont commencé à " disparaître ". Dans les années 80 et au début des années 90 des femmes dirigeant des organisations de défense des droits de lhomme ont été abattues de sang froid par des hommes non identifiés dans des voitures banalisées aux vitres fumées. Les femmes qui essayaient de former les autres femmes ou de mettre en place des coopératives de tissage dans les montagnes et les zones rurales ont mystérieusement "disparu", souvent après avoir été arrêtées par des patrouilleurs civils originaires de leurs propres villages ou de villages voisins. A Guatemala City les corps de jeunes étudiantes qui avaient été emmenées devant témoins, interrogées, et torturées, ont été jetés près de luniversité ou dans dautres lieux publics en guise d'avertissement aux autres étudiantes et militantes.
Dans le cadre des opérations anti-insurrectionnelles dans la campagne guatémaltèque au début des années 80, beaucoup de femmes ont été violées et tuées à la hache par des membres de larmée guatémaltèque. Pendant ces opérations, la torture par le viol et les abus sexuels était une tactique très répandue. Dans certains cas des femmes ont été violées de manière répétée par des militaires de la base locale. Une femme qui a été détenue pendant presque un mois dans la base militaire Baja Verapaz à Rabinal a raconté à une organisation de défense des droits de lhomme comment elle a été violée plus de 300 fois devant son père qui était attaché et retenu dans la même pièce. Elle a déclaré :
" Toutes les nuits un groupe de soldats entrait -parfois dix, parfois quinze- et me jetait à terre. Lun deux me déshabillait puis ils faisaient ça encore et encore, et je ne pouvais rien dire parce quils menaçaient de me tuer. Ils mont laissée seule deux nuits pour aller se soûler à une fête. Mais il y a des nuits où jai vraiment souffert .46"
Dans dautres cas des femmes guatémaltèques ont été visées parce quelles défendaient et protégeaient leurs proches. Les "escadrons de la mort" guatémaltèques ont parfois fait "disparaître" des épouses, des mères, des filles et des surs parce que leur mari, leur père, leur fils ou leur frère était soupçonné dappartenir à la guérilla ou den être un sympathisant. Dans un cas rapporté à AI, la mère et les trois surs dun homme supposé membre de la guérilla ont toute ont "disparu" en septembre 1981. Les corps torturés des mères, épouses, filles et surs "disparues" ont été jetés dans des ravins et sur le bord des routes afin de terroriser la population.
Le meurtre de Rosario Godoy Aldana de Cuevas
Parmi les milliers de femmes courageuses assassinées extrajudiciairement, on peut citer la militante des droits de lhomme Rosario Godoy Aldana de Cuevas, qui a été enlevée à Guatemala City le 04 avril 1985 au matin. Rosario avait reçu des menaces de mort au sujet de ses activités en tant que membre fondateur et vice-présidente dune récente organisation de défense des droits de lhomme, le Grupo de Apoyo Mutuo por el Aparecimientos con Vida de Nuestros Hijos, Esposos, Padres y Hermanos (GAM)47, le Groupe de Soutien Mutuel pour le retour en vie de nos fils, maris, pères et frères, et au sujet de ses tentatives pour découvrir la vérité sur lenlèvement de son mari, le leader étudiant Carlos Ernesto Cuevas Molina, le 15 mai 1984. La veille de son enlèvement, Rosario Godoy Aldana de Cuevas avait assisté aux funérailles dun autre leader du GAM, Héctor Gomez, et sétait rendue à lendroit où son corps avait été retrouvé après son enlèvement.
Le matin du 04 avril, la Police nationale a annoncé que Rosario Godoy Aldana de Cuevas, son frère, et son fils de trois ans avaient été retrouvés dans sa voiture renversée à à peu près 23h30, dans ce quils ont plus tard décrit comme un " ravin à côté dun virage étroit et dangereux ", à 15 km de Guatemala City sur lancienne route dAmatitlàn.
AI a découvert plusieurs indications montrant que des membres des forces de sécurité ont participé au meurtre de Rosario Godoy Aldana de Cuevas. En avril 1985 une délégation dAI qui visitait le pays a relevé de nombreuses incohérences dans les déclarations officielles sur la mort de Rosario Godoy Aldana de Cuevas, ainsi que des contradictions entre ces déclarations et les preuves matérielles recueillies par AI pendant son séjour au Guatémala. Par exemple, quand les membres de la délégation ont inspecté lendroit où la voiture aurait quitté la route ils virent que la pente nétait que très faible et ne pouvait pas réellement être décrite comme un "ravin", pas plus quils ne considérèrent lendroit comme "étroit" ou "dangereux". De plus la voiture nétait que légèrement abîmée, ce qui ne permettait pas de justifier la version de la Police nationale selon laquelle les trois personnes seraient mortes dans laccident de voiture. Les journalistes qui ont enquêté sur laffaire nont trouvé personne aux alentours se rappelant avoir entendu le bruit dun accident à lheure où la Police nationale prétend quil a eu lieu. De plus lheure de laccident donnée par la police se situe six heures après lheure probable de la mort donnée par le légiste. En outre, les proches de Rosario Godoy Aldana de Cuevas qui étaient au courant de ses déplacements ne voient pas pourquoi elle se serait trouvée sur la route dAmatitlán ce jour-là, surtout quelle avait prévu dassister à des réunions à Guatemala City.
Finalement, ni la délégation dAI ni aucun journaliste ou habitant des environs interrogés na pu trouver quelquun qui ait vu les corps dans la voiture. Quand les témoins indépendants sont arrivés sur les lieux, la voiture était sur la route (remontée du ravin après laccident, daprès la police) et les corps avaient été emmenés à la morgue où la famille les a identifiés.
Alors que dans des réunions avec AI les représentants officiels du gouvernement assuraient que lenquête était toujours en train, le Ministre de lIntérieur faisait des déclarations publiques dans la presse où il affirmait que lenquête sur la mort de Rosario Godoy Aldana de Cuevas était entièrement terminée et quelle avait conclu à une mort dans un accident de voiture. Le journal Diario de Centroamérica du 17 avril 1985, par exemple, citait le Ministre : " Après analyse par les autorités compétentes, nous pouvons affirmer avec certitude que sa mort est due à un regrettable accident de la route ".
Le meurtre de Rosario Godoy Aldana de Cuevas est représentatif des autres cas dans lesquels des femmes qui essayaient de mobiliser les gens autour de leur campagne demandant la justice pour leurs proches " disparus " étaient systématiquement tuées ou " disparaissaient ". Quelques jours seulement avant dêtre tuée, Rosario Godoy Aldana de Cuevas avait écrit à un de ses amis au Costa Rica, lui expliquant quune rumeur circulait à propos dune surprise de la part du gouvernement, mais quelle ne savait pas si cette surprise pourrait être lélimination dun dirigeant du GAM.
Malgré les appels répétés des organisations nationales et internationales de défense des droits de lhomme pour que soient traduits en justice les responsables des meurtres de Rosario Godoy Aldana de Cuevas, son frère et son fils, aucun progrès na été fait dans lenquête sur cette affaire.
Lenlèvement et la torture de Beatriz Eugenia Barrios Marroquín
Le 10 décembre 1985, deux jours après que Vinicio Cerezo (1986-1990) ait remporté les élections présidentielles, Beatriz Eugenia Barrios Marroquín âgée de 26 ans, mère de deux enfants, institutrice et étudiante en droit à lUniversité de San Carlos, a été enlevée par des hommes puissamment armés qui lont forcée à sortir dun taxi. Elle avait déjà été enlevée et torturée à la mi-novembre 1985 et était depuis sous surveillance constante, ce qui lavait conduite à demander lasile à létranger. Son corps a été retrouvé le lendemain près de Palín dans la province dEscuintla : il était lacéré, son visage était profondément tailladé, et ses mains sectionnées à hauteur des poignets. Personne na jamais été poursuivi pour sa mort.
Le meurtre de Dinora José Pérez Valdez
AI a continué à rassembler des documents sur les assassinats extrajudiciaires de femmes militantes au début des années 90. Dinora José Pérez Valdez, âgée de 28 ans, a été abattue le 29 avril 1991 à 19h par deux hommes lourdement armés circulant sur une moto rouge et blanche, alors quelle montait dans sa voiture garée devant chez elle dans la zone 7 de Guatemala City.
Dinora José Pérez Valdez était membre du bureau de la Fundación de Proyectos del Area Rural para Guatemala (FUNDAGUA), la Fondation de Projets Ruraux pour le Guatémala, une ONG qui faisait des recherches sur des questions socio-économiques et politiques au Guatémala, et formait les leaders syndicaux et populaires. Elle était aussi directrice de lInstitut María Chinchilla, une organisation de développement pour les femmes, et avait été candidate à lassemblée nationale pour le groupe politique social démocrate Alianza Popular-5 aux élections de novembre 1990. Elle avait aussi participé à lorganisation des Jornadas por la Vida y por la Paz, une série de réunions tenues en 1990 par des communautés chrétiennes et des mouvements populaires sur les thèmes de la paix et des droits de lhomme au Guatémala. En tant que représentante de la FUNDAGUA, Dinora Pérez avait pris part à la formation de leaders paysans et indigènes. Aucune enquête sérieuse na jamais été menée sur son meurtre, et ce cas demeure irrésolu.
Les défenseurs des droits de lhomme
Pendant des années, les tentatives de formation dorganisations de défense des droits de lhomme ont abouti à lélimination de leurs dirigeants. Des dizaines de défenseurs des droits de lhomme ont lutté pour survivre face à la répression et aux campagnes visant à discréditer leur travail et à les diaboliser en les présentant comme subversifs, terroristes, ou criminels de droit commun.48 Énormément de défenseurs des droits de lhomme ont été exécutés extrajudiciairement ou ont " disparu ". Dautres ont fui, craignant pour leur vie.
Parmi les personnes visées se trouvaient les membres dorganisations défendant les droits des personnes déplacées dont le Consejo Nacional de Desplazados de Guatemala (CONDEG), le Conseil National pour les Déplacés au Guatemala ; les CPR ; les Comisiones Permanentes (CCPP), les Commissions Permanentes, qui représentent les réfugiés vivant au Mexique, ainsi que les membres dorganisations défendant les indigènes, comme le CUC. Des centaines dautres étaient constamment menacées et intimidées.
Le cas dAlaíde Foppa
Alaíde Foppa de Solórzano fait partie de ceux qui ont perdu la vie en défendant les droits des autres. Elle était dissidente politique, militante pour la cause des femmes et des droits de lhomme, universitaire, poète, et journaliste. Daprès les témoins oculaires, Alaíde Foppa et son chauffeur Leocadio Axtun Chiroy ont été kidnappés en plein jour par des membres de lunité des renseignements G-2 à Guatemala City le 19 décembre 1980.
Un rapport dans le quotidien Prensa Libre du 22 décembre 1980 déclare que Alaíde Foppa et son chauffeur ont été forcés dentrer dans la Chevrolet dAlaíde Foppa par plusieurs hommes armés. Ensuite la voiture, quon na jamais retrouvé, a démarré en trombes. Alaíde Foppa et son chauffeur nont jamais été revus.
Au moment de sa "disparition" Alaíde Foppa rendait visite à des amis à elle au Guatémala. Depuis 1954 elle vivait au Mexique avec son mari qui avait été expulsé du Guatemala en 1954. Alaíde Foppa avait été un membre actif dAI au Mexique et une militante en faveur des droits de lhomme en Amérique Centrale. Elle était aussi une militante féministe, et était lune des fondatrices du magazine féminin Fem, et animait lémission de radio Foro de la mujer, le forum des femmes, diffusée par une station de radio de luniversité mexicaine.
Le travail dAlaíde Foppa à la radio était très controversé et pourrait être une des raisons de sa " disparition ". Juste avant son enlèvement elle avait enregistré des interviews de femmes indigènes du département dEl Quiché, où lopposition armée était particulièrement forte à cette époque. Sa " disparition " pourrait aussi avoir eu pour but de servir davertissement aux membres de sa famille, dont certains étaient des opposants actifs.
A plusieurs reprises des autorités gouvernementales ou militaires ont donné de fausses informations sur les circonstances de lenlèvement dAlaíde. Le gouvernement a tout dabord déclaré que lopposition armée était responsable de sa " disparition ". Cependant ces allégations nont jamais été prouvées, et son entourage a certifié quils navaient reçu aucune demande de rançon. Au début de lannée 1981, suite à lémotion internationale suscitée par la " disparition " dAlaíde Foppa, lofficier militaire chargé à lépoque des relations publiques, le Major Edgar Djalma Dominguez, réfuta les allégations de la presse mexicaine selon lesquelles des membres de lunité de renseignements G-2 étaient responsables de lenlèvement, et accusa la presse dorchestrer une campagne internationale visant à discréditer le Guatemala. En mars 1981 le consul du Guatémala à Houston au Texas dit à un membre dAI quAlaíde Foppa était vivante et se trouvait à Managua au Nicaragua où elle enseignerait le Marxisme et le féminisme informations réfutées par les autorités nicaraguayennes.
Malgré les demandes répétées des organisations nationales et internationales de défense des droits de lhomme pour quune enquête poussée sur la "disparition" dAlaíde Foppa soit menée, aucune information concernant les mesures concrètes engagées par les autorités compétentes pour découvrir où pourrait être Alaide na été divulguée. Bien que ces officiels aient prétendu dans plusieurs lettres que les recherches étaient en cours, aucune information sur les progrès dans cette affaire na été reçue. Il semblerait quaucune enquête sérieuse nait jamais été menée.
Dans les années 80 de nouveaux défenseurs des droits de lhomme sont apparus, certains dentreux étaient des femmes dont les maris ou les fils, parfois les deux, avaient été tués par des membres des forces de sécurité ou de leurs auxiliaires. Certaines de ces femmes étaient des déplacées de l'Intérieur ayant dû se réfugier à Guatemala City pour fuir les violences des zones rurales. Dautres se sont mobilisées contre le recrutement militaire forcé, pour protester contre les persécutions infligées par les forces gouvernementales, ou pour défendre la terre, les droits des femmes ou des populations indigènes. Tous ces efforts ont permis au Guatémala de disposer maintenant de mouvements de défense des droits de l'homme actifs et dynamiques, mais cest au prix des vies de militants nombreux et déterminés.
Le GAM
En juin 1984 un groupe de personnes qui essayaient de retrouver leurs proches créèrent le GAM. Pendant plus de dix ans les membres du GAM ont été systématiquement persécutés et publiquement discrédités dans leurs démarches pour découvrir des faits concernant les atrocités commises dans le passé.
Lors dune conférence de presse de larmée en 1986, Nineth Montenegro alors président du GAM et actuellement membre du Congrès, a été accusé dattenter à lhonneur et au prestige de larmée, et les activités du GAM furent qualifiées de " dangereuses ". Deux leaders du GAM, Héctor Gómez et Rosario Godoy Aldana de Cuevas, ont été brutalement assassinés par les forces de sécurité aux mois de mars et avril 1985. Il ny a jamais eu denquête sur leurs meurtres, et leurs portraits accrochés dans les bureaux du GAM aux côtés de ceux de nombreuses autres victimes de violation des droits de lhomme, sont un témoignage accablant du climat dimpunité qui règne. En décembre 1986 Basilio Tuiz Ramírez, un autre membre du GAM, a " disparu " après avoir été enlevé sur la route entre Panajachel et San Andres, dans la province de Sololá. Des témoins ont déclaré que ses ravisseurs étaient des soldats de larmée guatémaltèque. AI a reçu des rapports indiquant quau moins 20 membres du GAM ont soit été exécutés extrajudiciairement, soit ont "disparu" au cours des années passées.
Le CERJ
Le transfert du pouvoir de larmée à un gouvernement civil en 1986 a vu une augmentation du nombre de défenseurs des droits de lhomme qui ont commencé à sorganiser malgré lintimidation et la répression persistantes. Le Conseil des Communautés Indigènes "Runujel Junam" (" Nous sommes tous égaux "), connu sous le sigle CERJ, a été créé en 1988 pour protéger les droits des indigènes. Il luttait contre le recrutement forcé des gens dans les zones rurales pour les patrouilles civiles soi-disant volontaires. Au moins 17 de ses membres ont été tués et 7 ont " disparu " entre 1988 et 1995. Le fait que ces meurtres et " disparitions " ne se limitent pas à une zone géographique précise indique quils sont le résultat dune politique délibérée de la part des plus hauts échelons de lappareil dÉtat dans le but de persécuter et éliminer les membres du CERJ. Les autorités nont jamais ordonné denquête approfondie sur ces meurtres et " disparitions ". Même dans les cas où des poursuites ont été engagées, aucune des personnes poursuivies na été traduite en justice.
En septembre 1988 Valerio Chijal, un responsable local du CERJ, a été abattu chez lui dans le hameau dAgostadero dans la municipalité de San Andrés Sajcabajá, province dEl Quiché, après avoir reçu des menaces de mort de la part des membres de la patrouille civile locale et dofficiers militaires. Quelques jours plus tard, un autre responsable du CERJ, Pedro Cumes Pérez, a " disparu " après avoir été enlevé par des soldats en uniforme sur la plantation de San Julián, province de Suchitepéquez, et emmené au détachement militaire de Patulul. Au moment de sa " disparition " il essayait de mettre en place un groupe local du CERJ à Suchitepéquez.
Martín Pelíco, un membre du CERJ, a été enlevé, torturé et tué en juin 1995. Les rapports du légiste ont indiqué que son corps portait des blessures à la tête et montrait les signes cliniques de la mort par asphyxie. Martín Pelíco venait de San Pedro Jocopilas, province dEl Quiché, et avait quitté les patrouilles et le CVDC trois ans plus tôt. Le CVDC aurait pris part à plusieurs meurtres dans la municipalité, dont ceux du leader politique et journaliste Jorge Carpio Nicolle et trois de ses compagnons le 03 juillet 199349. Martín Pelíco était qualifié de " subversif ". Un commissaire militaire et deux membres du CVDC ont été identifiés par des témoins comme étant les meurtriers de Martín Pelíco, et ont été emprisonnés et accusés de meurtre. Cependant, malgré les témoignages les identifiant, le juge saisi du dossier les a libérés en juillet 1996 et a provisoirement classé le dossier pour manque de preuves. Le CERJ a fait appel, et la décision en appel était toujours pendante en 1997.
Depuis lAccord Global sur les droits de lhomme de mars 1994
Document 13 : Les proches des membres " disparus " du Conseil des Communautés Indigènes " Runujel Junam " - " Nous sommes tous égaux " (CERJ) une organisation pour les droits indigènes, juin 1998.
Dans la clause 7 de laccord global sur les droits de lhomme, le gouvernement guatémaltèque a réitéré sa promesse de protéger les défenseurs des droits de lhomme et de leur garantir toute liberté pour continuer leur travail, cette promesse a cependant été rapidement transgressée. Les informations recueillies par AI et publiées en 1997 montrent comment, même après la signature de laccord, ceux qui luttaient contre limpunité étaient fréquemment victimes de menaces de mort, mauvais traitements, enlèvements de courte durée, et parfois torture et meurtres.50 Les défenseurs des droits de lhomme continuaient aussi à être publiquement intimidés et présentés comme des criminels. Les officiels du gouvernement et les CVDC ont continué à les discréditer en les accusant dappartenir à la guérilla ou en qualifiant leurs activités de subversives, faisant ainsi deux les "cibles légitimes" de leur attaque.
En juillet 1994, par exemple, un porte-parole de larmée guatémaltèque, le Colonel Morris de León, a publiquement déclaré que la leader indigène Rosalina Tuyuc, alors présidente de la Coordinadora Nacional de Viudas de Guatemala ( CONAVIGUA), la Coordination Nationale des Veuves du Guatemala, et actuellement membre du Congrès, était connue sous le nom de " Julia " dans le mouvement insurgé et que ses frères étaient des guérilleros spécialisés dans la démolition de ponts et la collecte de " limpôt de guerre ". De telles allégations nont jamais été prouvées devant un tribunal. La famille Tuyuc a rapporté dautres cas de menaces et dintimidations contre ses membres depuis la fondation de la CONAVIGUA à la fin des années 80, au cours de ce qu'on a pu décrire comme une campagne délibérée et calculée contre eux.
En juillet 1996, dans son cinquième rapport à lAssemblée Générale des Nations unies, la MINUGUA a déclaré que le gouvernement navait pris aucune mesure pour garantir ou protéger les individus ou les organisations défendant les droits de lhomme. Le rapport ajoutait quaucune enquête navait été menée sur les menaces et actes dintimidation contre ces individus ou organisations, et que dans certaines régions des membres de larmée, du CVDC et danciens commissaires militaires continuaient dassimiler le travail de promotion des droits de lhomme à des activités subversives. " Tant que ce message persistera, les personnes et les organisations défendant les droits de lhomme seront un secteur particulièrement vulnérable. "51
Chapitre 3 : Les auteurs des crimes et leurs complices
"Si je devais me débarrasser dune moitié du Guatemala pour que lautre moitié puisse vivre en paix, je le ferais. "
Mario Sandoval Alarcón, leader du parti de gauche Movimiento Nacional de Liberacion (MNL), Mouvement National de Libération, en 1985. 52
"Les personnes reconnues coupables de violations des Droits de lHomme devraient être renvoyées des forces armées ou de sécurité, et punies en conséquence. "
Comité des Droits de lHomme des Nations unies, mars 1996 53
Pratiquement chaque unité des forces de sécurité de lÉtat était impliquée dans les graves violations des Droits de lHomme dont hérite le Guatémala, soit en étant à leur origine soit en les ayant perpétuées. Dans beaucoup de cas, de tels abus ont été ordonnés, planifiés, et exécutés directement par des agents de la force de sécurité officielle. Dans dautres cas les abus ont été commis par des réseaux locaux ou décentralisés, sans existence officielle ou créés par le biais dune législation spéciale, composés de forces auxiliaires ou paramilitaires, danciens agents de la force de sécurité en civil, ou de tueurs à gages, opérant sous les ordres du personnel de la force de sécurité.
Au Guatémala, les auteurs de graves violations des Droits de lHomme étaient soutenus par une infrastructure et des ressources dont les racines plongent au sein de lappareil dÉtat et dépassant largement les paramètres nationaux. Dans ce rapport AI enquête sur les unités de la force de sécurité et sur ceux qui les ont aidées ou approuvées en encourageant, planifiant, ou couvrant les crimes contre les droits de lhomme dont AI estime quils méritent un examen spécial de la part des autorités guatémaltèques et de la Commission de clarification historique. Les abus commis par les groupes armés dopposition seront aussi traités plus loin.
Jusquen 1983 les graves violations des droits de lhomme comme les exécutions extrajudiciaires ou les " disparitions " dans les zones rurales étaient le plus souvent le fait de membres de larmée régulière. Les déclarations des témoins des massacres perpétrés pendant les opérations anti-insurectionnelles au début des années 80 font régulièrement ressortir limplication de membres de larmée. Bien que les forces auxiliaires aient fréquemment été utilisées pendant ces opérations, la grande majorité de ces massacres ont été planifiés et commis par des militaires en uniforme ou en civil, ou déguisés en guérilleros. Les témoins ont régulièrement indiqué que les auteurs des massacres, même sils nétaient pas en uniforme, portaient des vestes ou des bottes de larmée, des radios et du matériel sophistiqué, et employaient un vocabulaire militaire.
Même si limplication directe de larmée dans les violations massives des droits de lhomme a diminué après 1983, elle na pas entièrement disparu. Les soldats réguliers ont été responsables de nombreux massacres dans les années 80 et 90, notamment des meurtres de 13 indiens Tzutuhil en décembre 1990 à Santiago Atitlán, province de Sololá, et de 11 réfugiés qui étaient rentrés au pays, le 05 octobre 1995 à Xamán, Chisec, Alta Verapaz.
Les escadrons militaires en civil étaient aussi directement responsables d' exécutions extrajudiciaires sélectives et de " disparitions " à Guatemala City à la fin des années 70 et au début des années 80. Un ancien conscrit qui était membre dune unité militaire en civil à Guatemala City a témoigné en 1980 de la surveillance de civils politiquement suspects, lenlèvement de civils pour les interroger sous la torture puis les tuer à la base militaire de la Brigada Militar Mariscal Zavala dans la banlieue de Guatemala City.
De tels incidents ne se limitaient pas à Guatemala City. Dans un cas, selon des témoins, lagronome Jorge Alberto Rosal Paz a été forcé par des hommes lourdement armés à monter dans une jeep de larmée venant de la base militaire située près de chez lui à Zacapa dans lEst du Guatémala, le 12 août 1983. Il aurait ensuite été emmené à la caserne Justo Rufino Barrios à Guatemala City. On ne la pas revu depuis. Dans un autre cas, Emil Bustamante López, chirurgien vétérinaire et professeur à lUniversité de San Carlos, aurait arrêté à un point de contrôle militaire sur la route de Santa Catarina Pinula dans le département de Guatemala le 13 février 1982. Il aurait été vu le 23 mars de la même année dans le Cuartel General de Matamorros à Guatemala City. Lui non plus na plus été revu depuis.
Document 15 : Défilé du commando militaire spécial " Kaibiles ", le jour de lArmée Nationale le 30 juin 1987. Les " Kaibiles " ont fréquemment été cités comme responsables de massacres pendant le conflit armé au Guatemala.
Beaucoup de cas sur lesquels AI a enquêté, et dont certains sont examinés dans ce rapport, montrent limplication directe dans de graves violations des droits de lhomme, comme la torture, les " disparitions ", et les exécutions extrajudiciaires, des membres de lunité spéciale délite de contre-révolte, les kaibiles, et de lunité de renseignements militaires G-2.
Les forces paramilitaires et auxiliaires
La nouvelle législation de décembre 1966 a permis aux grands propriétaires terriens demployer des agents armés autorisés à agir pour faire appliquer la loi. Cela a conduit à la création de nombreux groupes paramilitaires qui ont opéré dans les années 60 et 70, et ont commis dinnombrables violations des droits de lhomme. En plus de procurer aux forces armées régulières du personnel supplémentaire et une force militaire, ces groupes permettaient à larmée de fuir ses responsabilités dans les graves violations des droits de lhomme en prétendant que ces crimes avaient été commis par des groupes qui nétaient pas sous son contrôle. Néanmoins, pendant la période qui nous intéresse, les informations collectées par AI et les organisations nationales de défense des droits de lhomme, y compris les témoignages danciens agents des forces de sécurité, indiquent régulièrement que ces groupes opéraient en étroite collaboration avec le personnel militaire local, et que les gouvernements successifs nont jamais pris de mesures efficaces pour les démanteler.
Les Patrouilles de Défense Civile ont été créées en 1981 sous le gouvernement du Général Romeo Lucas García (juillet 1978-mars 1982). Les patrouilles ont été institutionnalisées pendant le gouvernement de facto du Général Efrain Ríos Montt (mars 1982-août 1983) comme un élément clé de la campagne anti-insurectionnelle " des armes et des haricots ", et ont ensuite été utilisées et justifiées par les gouvernements successifs comme étant un mécanisme efficace pour combattre la subversion. Les Patrouilles de Défense Civile se distinguaient des précédents groupes paramilitaires en ce quelles se composaient de membres de la communauté civile, dont les autorités disent quils ont volontairement rejoint ces patrouilles pour se défendre contre les attaques de la guérilla et favoriser le bien-être de la communauté54. Pourtant, des organisations nationales et internationales de défense des Droits de lHomme ont découvert que les villageois étaient enrôlés de force dans ces patrouilles où ils étaient sous les ordres et la surveillance des militaires, en tant quauxiliaires de larmée régulière. Au plus fort des opérations anti-insurectionnelles, on estime quun million de personnes sur une population totale de huit millions ont été enrôlées dans les patrouilles.
Le contrôle et lentraînement des membres de la Patrouille de Défense Civile étaient exercés par des comisionados militares, des commissaires militaires des agents civils de larmée postés dans chaque hameau, responsables du recrutement (la conscription forcée était la règle au Guatemala) et des rapports de renseignements régulièrement adressés au quartier général régional de larmée. Les commissaires militaires et des membres de la Patrouille de Défense Civile ont assisté les forces armées régulières lors de lexécution de nombreux massacres au début des années 80. Dans la seconde moitié des années 80 et dans les années 90, ces forces auxiliaires se sont rendues responsables de centaines d'atteintes aux droits de lhomme dans les zones rurales, crimes commis sous les ordres de larmée régulière. Dans son rapport annuel de 1994, la Commission inter-Amerique sur les Droits de lHomme (IACHR) " réaffirme, grâce aux personnes rencontrées à travers le pays, que les patrouilles civiles sont impliquées dans les violations des droits de lhomme et augmentent linsécurité sociale ".55 En décembre 1994 lexpert indépendant de lONU au Guatémala56 Monica Pinto rapportait que "les PAC et linstitution des "commissaires militaires" ont toutes deux dévié en pratique des buts pour lesquels elles avaient été créées, et sont devenues les agents responsables de la violence sociale qui prend la forme datteintes aux droits de lhomme".57 Les membres de la Patrouille de Défense Civile devenaient eux-mêmes des victimes sils refusaient de se joindre à la patrouille ou dexécuter les ordres des militaires. Durant les années 80 et au début des années 90 AI a enquêté sur des centaines de meurtres dhommes qui refusaient de participer à la patrouille.
Document 16 : Défilé des membres des Patrouilles de Défense Civile, Patrullas de Autodefensa Civil (PAC) le 30 juin 1987. Les PAC ont été responsables de nombreuses violations des droits de lhomme dans les années 80 et 90.
En septembre 1995 le gouvernement de Ramiro de León Carpio (1993-1995) a ordonné la mise à pied des commissaires militaires dans lAcuerdo Gubernativo 434-95, lAccord Gouvernemental 434-95. La dissolution des Patrouilles de Défense Civile, rebaptisées en 1986 Comités Voluntarios de Defensa (CVDC), Comités Volontaires de Défense Civile, a commencé en août 1996. Pourtant en 1996 AI observait que " aussi positive que puisse être la dissolution des commissaires militaires et des CVDC [ ] il est néanmoins préoccupant que les anciens commissaires militaires et membres des CVDC, sous différents noms, continuent de commettre de sérieuses violations des droits de lhomme avec la protection assurée de larmée ". AI met aussi laccent sur le fait que la grande majorité des atteintes aux droits de lhomme commises par les commissaires militaires et les membres des CVDC demeurent impunis.58 La MINUGUA a soulevées mêmes préoccupations.
Pendant les années 70 et au début des années 80, AI a dénoncé la large implication des membres de la Police nationale dans les graves violations des droits de lhomme. Ils étaient particulièrement actifs à Guatemala City où ils travaillaient en collaboration avec les PMA, alors quen province cétait avec les forces armées régulières. En 1981 AI a établi que des membres de la Police nationale étaient responsables des meurtres de prisonniers qui étaient officiellement détenus par la police. Dautres meurtres attribués à la Police nationale concernaient des personnes reconnues coupables de délits sans caractère politique, particulièrement des récidivistes, quon a retrouvé mortes après avoir été détenues à Guatemala City, et des personnes tuées immédiatement après leur libération de prison.
Au début des années 80, deux unités spéciales de la Police nationale, le Comando Seis, le sixième commando, et le Peloton Modelo, le Peloton Modèle, auraient été impliquées dans de nombreux meurtres pendant ou après des manifestations politiques. Ainsi le 03 février 1980 les journaux guatémaltèques ont rapporté l'arrestation de Liliana Negreros pendant le convoi funèbre en mémoire de 21 personnes tuées lors de lassaut de larmée sur les manifestants qui occupaient lAmbassade espagnole le 31 janvier. Elle aurait été emmenée par des membres du Sixième Commando. La presse a plus tard rapporté que son corps avait été retrouvé le 19 mars avec ceux de 37 autres personnes dans un profond ravin près de San Juan Comalapa dans le Chimaltenango.
Les autres unités de la Police nationale qui seraient responsables de nombreuses violations des droits de lhomme sont la Brigada de Operaciones Especiales (BROE), la Brigade des Opérations Spéciales, et la Guardia de Hacienda, la Police Financière. Le 18 février 1984 un étudiant et leader syndical connu, Edgar Fernando Garcia, a été emmené en plein jour par des membres en uniformes de la BROE et de la Police nationale lors dopérations surprises de fouille systématique. On ne sait pas ce quil est devenu. Certains membres de la Police Financière, qui appartenaient avant à la Police Judiciaire, auraient été membres des "escadrons de la mort".
Mano Blanca, la Main Blanche, a été un des premiers et des plus connus "escadrons de la mort " apparu dans la période couverte par ce rapport. Dans une interview en 1967, le leader de la gauche Mario Sandóval Alarcón a publiquement reconnu sa responsabilité dans sa création.
" Larmée était démoralisée par la guérilla avant que nous ne créions la Main Blanche Lors de lélimination systématique des guérilleros des injustices ont été commises Plusieurs centaines de personnes ont été tuées, mais entre janvier et mars (1967) la guérilla a été presque totalement éliminée de lEst du Guatemala. Le terrorisme des guérilleros a forcé le gouvernement à adopter un plan complètement illégal, mais qui a donné des résultats ".59
Dès le début de lannée 1967 AI a noté lémergence de 20 groupes semblables, composés des forces paramilitaires, dagents des forces de sécurité en civil ou danciens agents des forces de sécurité. Au cours de la période étudiée, AI a reçu de nombreux rapports et témoignages montrant la relation entre les "escadrons de la mort " et le gouvernement dans de graves violations des droits de lhomme. En 1981 AI a publié un rapport dans lequel le témoignage dun ancien responsable gouvernemental montre le lien entre les activités de lEjercito Secreto Anti-Comunista (ESA), lArmée Secrète Anti-Communiste et des autres " escadrons de la mort ", avec le bureau du Ministre de lIntérieur au palais présidentiel.
En octobre 1978 lESA a publié une liste de 38 personnes, comprenant des universitaires et des leaders étudiants, quelle avait " jugées et condamnées à mort ". Deux jours plus tard, le 20 octobre, Oliviero Casteñada âgé de 23 ans et président de lAssociation des Etudiants de lUniversité, a été assassiné dans le centre de Guatemala City. Selon un rapport, deux voitures de police bloquaient la rue pendant la fusillade. Bien que des policiers, des gardes, et des soldats patrouillent constamment à lendroit où le crime a eu lieu, aucun effort na été fait pour appréhender les assaillants qui ont pu senfuir en toute liberté. Dautres personnes nommées par lESA ont été exécutées. En février 1979 Manuel Andrade Roca, conseiller du recteur du Centre de Formation Syndicale, a été assassiné. Son nom figurait sur la liste de janvier des condamnés à mort par lESA. En 1979 la presse a rapporté que des sources officielles attribuaient à lESA 3252 meurtres au cours des dix premiers mois de 1979.
Pendant que Vinicio Cerezo était au pouvoir (1986-1990), AI a réuni des informations concernant une augmentation de lactivité des "escadrons de la mort", surtout après 1988. Le 09 février 1988 Ana Elizabeth Paniagua Morales, ancienne militante étudiante, a été enlevée par des hommes en civil puissamment armés, qui lont forcée à monter dans une camionnette blanche aux vitres teintées. Son corps a été retrouvé deux jours plus tard. Il portait plusieurs coups de couteau et elle avait eu la gorge tranchée. Dans les semaines qui suivirent, dautres enlèvements se sont produits dans les mêmes circonstances, et furent appelés les enlèvements " à la camionnette blanche ". Ces enlèvements dans le style de ceux des escadrons de la mort auraient été commis par des membres des forces armées ou des agents de la Police Financière. Dès 1989 AI avait enregistré la création de cinq nouveaux "escadrons de la mort", dont Jaguar Justiciero, le Jaguar Justicier, et La Dolorosa.
Document 19 : En février 1979 Manuel Andrade Roca a été assassiné. Il figurait sur la liste publiée en janvier de cette année par lArmée Secrète Anti-Communiste, Ejercito Secreto Anti-Comunista (ESA), un des "escadrons de la mort" du Guatemala actif à cette période.
Bien que les gouvernements successifs aient déclaré que ce quon appelait les "escadrons de la mort" étaient des groupes indépendants agissant hors du contrôle du gouvernement, AI a conclu en se fondant sur de nombreuses preuves que dans certains cas les "escadrons de la mort" comprenaient des membres réguliers de la police ou des militaires en civil agissant sous les ordres de leurs supérieurs. Léquipement dont ils disposaient, comprenant souvent des armes sophistiquées et des voitures banalisées, et la totale impunité dans laquelle ils agissaient, parfois tout près des bâtiments de larmée ou de la police ou en présence de membres des forces de sécurité qui ne faisaient rien pour les appréhender, sont autant de facteurs reliant les "escadrons de la mort" aux institutions de lEtat. De plus, le fait que les gouvernements successifs se sont abstenus de mener dauthentiques et sérieuses enquêtes sur les activités des " escadrons de la mort " ou sur les centaines de violations des droits de lhomme quils ont commis met clairement en évidence le degré du soutien officiel dont ils bénéficiaient.
Les autorités gouvernementales
Durant le conflit armé interne, AI a régulièrement rapporté limplication de représentants de lÉtat dans des cas de graves violations des droits de lhomme, telles que les exécutions extrajudiciaires, les "disparitions" et la torture. A certains moments cette implication relevait dune politique délibérée de lEtat, officiellement et publiquement reconnue. A dautres elle équivalait à une approbation ou la complicité de lEtat, partiellement révélée par l'absence de toute tentative en vue de régler la question des violations des droits de lhomme.
AI a reçu à de nombreuses reprises des informations impliquant des agents liés au bureau du Chef dEtat-Major de la Présidence, Estado Mayor Presidencial, dans de graves atteintes aux droits de l'homme. En 1981 AI a montré comment un service spécial de la présidence dépendant de l'armée coordonnait les opérations de sécurité secrètes et illégales du gouvernement désignation de ceux qui devaient " disparaître " ou être tués, et exécution de ces décisions.60 Le bureau était connu sous plusieurs noms la Agencia de Inteligencia de la Presidencia, le Bureau Présidentiel de Renseignements, Centro Regional de Telecomunicaciones, Centre Régional des Télécommunications, Policia Regional, la Police Régionale, les Servicios Especiales de Comunicaciones de la Presidencia, les Services Spéciaux Présidentiels des Communications, et le Comando Anti-Secuestro, le Commando Anti-Kidnapping. Daprès les informations dont dispose AI, le bureau présidentiel était dirigé conjointement par les chefs de lEtat-Major Présidentiel et des Renseignements Militaires.
Pendant cette période, ce service de la Présidence opérait depuis une annexe du Palais National, près des bureaux du Président et des principaux ministres, et à côté de la Résidence Présidentielle, la Casa Presidencial. A lépoque où le bureau sappelait le Centre Régional des Télécommunications, il se trouvait sous le toit du bâtiment qui portait les deux antennes de télécommunication. Le Centre de Télécommunication de lannexe du palais était un élément majeur du réseau de sécurité du Guatémala. Pendant des années des milieux bien informés du pays ont affirmé que lorganisation qui travaillait depuis ce bâtiment était la Police Régionale, bien que les autorités aient fréquemment nié lexistence dun tel corps. En 1978 lancien maire de Guatemala City, Manuel Colom Argueta, qui a par la suite été victime dune exécution extrajudiciaire, a qualifié la Police Régionale d"escadron de la mort".
Daprès AI cest ce bureau présidentiel, situé dans le palais et connu sous différents noms, qui coordonnait beaucoup dopérations de sécurité illégales et secrètes commanditées par le gouvernement, qui comprenaient de graves violations des droits de lhomme comme les exécutions extrajudiciaires, la torture et les "disparitions". On dit que les décisions politiques et la désignation de ceux qui devaient "disparaître" ou être tués étaient précédées de consultations entre les plus hautes autorités des ministères de la défense et de lintérieur, et lEtat-Major de l'Armée qui commandait les forces responsables des abus.
Pendant des années ceci était bien connu des Guatémaltèques qui avaient accès à linformation. Il était largement reconnu que le bureau opérait depuis une annexe du Palais National qui abritait le quartier général des services de sécurité pour les opérations secrètes. Lentrée du centre était gardée par des soldats puissamment armés, et des caméras de télévision en circuit fermé installées sur les angles du bâtiment. Des voitures banalisées et sans plaque dimmatriculation, ou avec des plaques étrangères, étaient souvent garées devant le centre.
Cependant, il était difficile de confirmer les détails des opérations du bureau en raison du caractère secret de ses activités. Par exemple AI na pas pu confirmer les dires de certains Guatémaltèques selon lesquels le bureau retenait des prisonniers à lintérieur de lannexe du Palais National. Néanmoins en 1981 AI concluait "le fait que le bureau existe et soit au centre du programme du gouvernement guatémaltèque de "disparitions" et de meurtres politiques est, de toute évidence, difficile à contester".61
Des années plus tard, les preuves recueillies dans les affaires de lanthropologue Myrna Mack Chang et de lancien membre de lopposition Juan José Cabrera Rodas laissent penser que cette conclusion peut toujours être tenue pour vraie. Lancien Sergent Noel de Jesús Beteta était à lépoque de lassassinat de Myrna Mack le 11 septembre 1990 attaché au bureau du Chef dEtat-Major de la Présidence, mais a quitté larmée peu après et est parti aux États-Unis. Il a été extradé des Etats-Unis en décembre 1991 et, après plus de deux ans de procédures menées par 13 juges, a été condamné le 12 février 1995 à 25 ans de prison pour le meurtre de lanthropologue. Pendant les enquêtes sur la " disparition " de Juan José Cabrera Rodas62, alias "Mincho", la MINUGUA a déclaré le 20 mai 1997 que ses propres recherches sur cette affaire et sa connaissance des méthodes utilisées dans des cas semblables la conduisaient à penser que Juan José Cabrera Rodas avait été enlevé par des membres des forces de sécurité. En septembre, des enquêtes ultérieures ont révélé de nouvelles preuves qui ont convaincu la MINUGUA que lopération anti-kidnapping pendant laquelle Juan José Cabrera Rodas a "disparu" était orchestrée par des agents du bureau du Chef de lEtat-Major Présidentiel. Cependant les autorités guatémaltèques ont refusé de donner à la MINUGUA des informations sur lidentité de ceux qui participaient à lopération, et ont rejeté sa demande de les interroger63. Des observateurs des droits de lhomme prétendent que les membres du Comando Anti-Secuestros, le Commando Anti-Kidnapping formé en 1996 et qui opère sous le contrôle du Chef dEtat-Major Présidentiel, sont responsables de la "disparition" de lancien membre de lopposition.
Vers la fin de la période qui nous intéresse, le degré dimplication patente ou cachée des autorités de lEtat dans les graves violations des droits de lhomme nest pas clair. Cela sexplique en partie par le fait que les structures répressives internes ont tendance à se perpétuer dans lappareil dEtat (une fois installées, elles continuent dexercer leurs fonctions bien quelles aient atteint les buts qui leur étaient fixés) et en partie par le fait que ces crimes ont été commis par des forces civiles auxiliaires ou "escadrons de la mort" qui échappent à lautorité centrale. Sans soccuper du niveau de responsabilité officielle dans les cas de graves violations des droits de lhomme, AI estime qu'il incombe au gouvernement de traduire en justice tous ceux qui ordonnent, planifient, commettent, acceptent, encouragent ou couvrent de tels crimes. AI croit aussi que labsence de toute politique gouvernementale des droits de lhomme ou de véritables efforts pour réprimer les violations des droits de lhomme équivalent à lacceptation de tels crimes. Pendant la période étudiée AI a régulièrement signalé que le Gouvernement guatémaltèque ne faisait rien pour réparer effectivement ou suffisamment le tort fait aux victimes de violations des droits de lhomme en enquêtant sur ces abus, en traduisant les responsables en justice, et en accordant réparation aux victimes et à leurs proches.
Le gouvernement guatémaltèque n'a jamais tenté de répondre aux efforts internationaux visant à améliorer la situation des droits de lhomme dans ce pays. A plusieurs occasions pendant la période couverte par ce rapport AI a soumis des mémorandums au gouvernement guatémaltèque indiquant ses préoccupations et ses recommandations quant aux violations des droits de lhomme dans le pays. Il ny a jamais eu de réelle réponse, malgré les promesses répétées des autorités d'améliorer la situation des droits de lhomme.
Dans les années précédant le conflit au Guatémala un autre élément montre la complicité du gouvernement dans les violations des droits de lhomme : le fait que les gouvernements successifs, tout en niant que les violations des droits de lhomme se soient produites pendant quils étaient au pouvoir, reconnaissaient que ces crimes étaient liés aux gouvernements antérieurs. De plus, les victimes des graves violations des droits de lhomme au Guatémala ont régulièrement été présentées comme criminelles ou subversives, tant avant quaprès leur mort, par les personnalités officielles et les agents des forces de sécurité. Cette politique consistant à accuser les opposants présumés ou ceux qui critiquent le gouvernement est importante pour plusieurs raisons. Elle montre que plusieurs niveaux de lappareil dEtat étaient impliqués dans la mobilisation de lopinion publique pour lui faire croire que les victimes des violations des droits de lhomme étaient des cibles légitimes et méritaient leur sort. De plus, le fait que telles déclarations aient été rendues publiques et naient jamais été rétractées par les autorités de lEtat est révélateur de la complicité et la connaissance officielle des graves atteintes aux droits de lhomme dont ont été victimes tant de Guatémaltèques.
Atteintes aux droits fondammentaux commises par l'opposition armée
Plusieurs cas de meurtres délibérés et arbitraires commis par des groupes d'opposition armée ont été signalés pendant la période couverte par ce document. Amnesty International condamne le meurtre de prisonniers ainsi que d'autres meurtres délibérés et arbitraires commis par des groupes d'opposition armée, ainsi que la torture et la prise d'otages. Cette condamnation s'appuie sur des principes du droit humanitaire international et en particulier sur l'article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949.64
Dans les années 60, des groupes d'opposition armée auraient été responsables du meurtre de propriétaires d'importantes exploitations. Au début des années 80, on a attribué à de semblables groupes plusieurs massacres. Les témoignages recueillis en 1997 par le Proyecto de Exhumaciones del Arzobispado de Guatemala, Opération d'exhumations Bureau des droits de l'homme de l'Archevêque du Guatémala a attribué à des membres de l'Ejercito Guerrillero de los Pobres, la guerrilla des Pauvres (l'un des groupes d'opposition armée qui ont constitué l'URNG), le massacre de 150 à 180 villageois de Chacalté, San Gaspar Chajul, El Quiché, le 13 juin 1982. Lors d'exhumations effectuées entre août et septembre 1997, on a retrouvé dans six endroits différents les restes de 65 corps. Ces exhumations ont montré que les victimes avaient été tuées d'une bale dans la tête, le thorax et d'autres parties du corps. L'existence de restes humains retrouvés ça et là et qui n'avaient pas encore été analysés au moment où nous rédigeons ce texte, viendra sans doute augmenter la liste des victimes.
En août 1997 certains articles de presse émettaient l'hypothèse que des membres de l'Organización del Pueblo en Armas (ORPA), l'Organisation du peuple en armes, ont eux aussi été responsables d'un certain nombre de meurtres arbitraires et délibérés dans les années 1980. A l'époque où ce texte est rédigé, ces informations n'avaient pas été confirmées. Au cours des années 1990, Amnesty a réuni des informations sur un certain nombre de cas de meurtres délibérés et arbitraires commis par des membres de groupes d'opposition armée et sur au moins un cas de prise d'otages65.
Un de ces cas était celui de Ernesto Rivera, commissaire de la police militaire de La Primavera, département d'El Petén, qui avait été exécuté après avoir été fait prisonnier par les membres de l'URNG en mars 1992. D'autre part, le 3 septembre 1994 Amarildo Sanán Hernández, sous-lieutenant dans l'armée , aurait été tué par des membres de l'URNG près de Patzaj, Comalapa, département de Chimaltenango, où se tenait une réunion de l'URNG. Selon certains témoins, Amarildo Sanán circulait en voiture avec deux autres personnes, comme lui en vêtements civils. Croyant que les hommes qui avaient intercepté le véhivule étaient des criminels de droit commun, il a saisi son arme et commencé à tirer. Les guérilleros ont riposté et l'ont touché aux jambes. Amarildo Sanán a alors essayé de s'enfuir, mais les guérilleros avaient déjà compris qu'il était un soldat, et l'auraient capturé, désarmé, avant de le tuer.
Le meurtre d'Ernesto Rivero et d'Amarildo Sanán constitue une violation de l'article 3 commun aux Convention de Genève de 1949, qui interdit "le meurtre sous toutes ses formes" de "personnes qui ne participent pas directement aux hostilités", y compris les membres des forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessures, détention ou toute autre cause".
"(Rios Montt) est un homme de grande intégrité personnelle, totalement engagé dans le rétablissement de la démocratie". Déclaration du Président des Etats-Unis, Ronald Reagan, décembre 198266.
Pendant la période du conflit armé interne, AI était préoccupée par les informations qui de façon répétée signalaient que des gouvernements étrangers étaient impliqués directement ou indirectement dans des violations des droits fondamentaux au Guatémala. AI estime que des enquêtes exhaustives devraient être ouvertes sur toutes les allégations selon lesquelles des responsables de gouvernement étrangers ont commis des violations des droits fondamentaux au Guatemala, y ont collaboré ou les ont encouragées, en fournissant soit des renseignements secrets, soit des personnels spécialisés, soit des compétences, voire des formations ou des équipements utilisés pour commettre des violations. Elle demande aussi que les responsables soient appelés à répondre de leurs actes.
AI estime en outre que les gouvernements étrangers devraient être jugés d'après les efforts qu'ils font pour aider le gouvernement guatémaltèque à respecter les normes et principes internationaux des droits fondamentaux concernant ses obligations envers les victimes des violations antérieures de ces droits et envers le reste de la société.
L'un des gouvernements étrangers accusés d'avoir facilité les violations graves des droits de la personne humaine à différents stades du conflit armé interne, sont les Etats-Unis. D'après les informations publiées dans le magazine Time du 26 janvier 1968, le Colonel John Webber, attaché militaire des Etats-Unis à l'époque des opérations anti-insurrectionnelles d'Izabal-Zacapa (octobre 1966 à mars 1968), attaché qui a par la suite été tué par des membres d'un groupe d'opposition armée, a reconnu qu'il avait été à l'origine de ces opérations et que c'était à son initiative que des méthodes anti-terroristes avaient été appliquées par l'armée guatémaltèque dans la région d'Izabal67.
Trente ans plus tard, des informations sont parvenues qui révélaient la façon dont le gouvernement des Etats-Unis avait facilité la perpétration de violations graves des droits fondamentaux au Guatemala en fournissant des formations spécialisées en matière d'opérations anti-insurrectionnelles. Le 20 septembre 1996, le département de la Défense des Etats-Unis a fait circuler des informations contenues dans sept manuels, rédigées en espagnol et utilisées pour la formation de milliers d'agents des forces de sécurité latino-américaines, manuels dans lesquels la torture, les exécutions et passages à tabac sont décrits comme des moyens qui peuvent se révéler utiles dans certaines circonstances.
Les instructeurs et les unités mobiles de formation de l'Ecole des Amériques de l'Armée des Etats-Unis ont utilisés ces manuels entre 1982 et 1991. Des exemplaires de ces manuels ont été distribués en Colombie, en Equateur, au Salvador, au Guatémala et au Pérou. En 1997, AI a publié des informations concernant ces violations et le rôle de cette Ecole des Amériques s'agissant d'offrir une formation et de fournir des compétences en matière d'opérations anti-insurrectionnelles au Guatémala68.
Il est difficile d'estimer le nombre d'agents des forces de sécurité qui ont reçu une formation, utilisant les directives contenues dans les manuels. Ce que l'on sait, c'est qu'entre 1982 et 1991, des dizaines de milliers de civils ont été victimes d'exécutions extra-judiciaires, de "disparitions" et de torture aux mains des forces de sécurité guatémaltèques. Selon certaines sources des agents de la sécurité guatémaltèque impliqués dans des affaires de violations des droits fondamentaux et dont certains ont été inculpés, ont reçu une formation à l'Ecole des Amériques. Parmi eux se trouve notamment un colonel impliqué dans la "disparition" d'Efrain Bamaca Velasquez en 1992, ainsi que dans le meurtre du citoyen des Etats-Unis, Michael Devine en 1990 ; Un Général serait aussi impliqué dans le meurtre de l'anthropologue Myrna Mack en 1990.
Au Guatémala il est difficile de vérifier la véracité d'allégations impliquant des responsables gouvernementaux étrangers dans des affaires de violations graves : en effet les pays donateurs comme les pays bénéficiaires sont capables d'en faire beaucoup pour que l'on ne puisse découvrir les transactions permettant de telles infractions criminelles. AI estime néanmoins que les informations selon lesquelles des gouvernements étrangers sont liés à des cas de violations graves des droits fondamentaux doivent faire l'objet d'investigations approfondies et impartiales. Les résultats de celles-ci et avec eux toute information susceptible d'élucider les problèmes posés par ces violations, devraient être mises immédiatement à la disposition des autorités guatémaltèques et de la Commission de clarification historique conformément aux normes internationales.
Les recommandations d'Amnesty International à La Commission de clarification historique du Guatémala
1. La Commission devra enquêter sur les violations, en particulier les exécutions extrajudiciaires, les "disparitions", les tortures, commises par les agents de l'Etat, leurs auxiliaires ou des individus agissant avec le consentement de l'Etat.
2. La Commission devra enquêter sur les meurtres délibérés et arbitraires attribués à l'ORNG et aux anciens groupes d'opposition armée, dont les victimes ont été des personnes liées aux forces armées, des agents du gouvernement ou d'autres personnes se trouvant aux mains de ces groupes.
3. La Commission devra mener des enquêtes afin de savoir le sort et le lieu où se trouvent actuellement les personnes qui ont "disparu" après avoir été arrêtées ou capturées par des agents de l'Etat ou des personnes qui leur sont liées. Ces enquêtes devraient clarifier nettement le sort des victimes et le lieu où se trouvent leurs restes. La Commission devra également faire des recommandations au sujet des cas de "disparition" pour lesquels, après que les autotrités ont mené une enquête approfondie et exhaustive, il n'est toujours pas possible de savoir ce qu'a été le sort des personnes disparues, ni le lieu où elles se trouvent.
4. La Commission devra prêter une attention particulière aux informations et témoignages fournis par les organisations de défense des droits de l'homme et les familles des victimes de violations qui, depuis des années, mènent des enquêtes systématiques.
5. La Commission devra, non seulement identifier les auteurs directs d'actes de torture, d'exécutions extrajudiciaires et de "disparitions", mais aussi ceux qui les ont organisés ou ordonnés, en établissant les responsabilités sur toute la chaîne hiérarchique.
6. La Commission devra veiller à ce que toutes les informations qu'elle pourra recueillir et qui pourraient faire la lumière sur des violations commises par le passé ainsi que sur leurs auteurs, que toutes les informations susceptibles de faciliter les enquêtes judiciaires soient prises par les instances juridiques appropriées conformément aux lois du pays et au droit international. La confidentialité ne devra être observée qu'afin d'assurer le bon fonctionnement des procédures et le respect des normesinternationales d'équité ; elle ne devra pas être opposée au droit de tout individu à connaître l'intégralité des faits.
7. Le processus initié par la Commission devra être basé sur la connaisssance approfondie de la vérité complète au sujet des violations des droits de l'homme des abus commis pendant la période en question. Toutes les victimes et leurs familles ont le droit de faire enregistrer leurs plaintes et d'obtenir des éclaircissements sur les faits.
8. La Commission devra examiner toutes les informations concernant la collaboration des agents de gouvernements étrangers avec les autorités guatémaltèques pour encourager, faciliter ou couvrir des violations des droits de l'homme par les membres des forces de sécurité ou des abus par des groupes d'opposition armée. Ces informations devraient comprendre des renseignements sur les transferts internationaux d'équipement militaire, de sécurité ou de police, de technologie, de formation, dont le but principal, dans la pratique, étant la violation des droits de l'homme.
9. Le rapport de la Commission devra comporter un compte-rendu de la répression exercée à l'encontre de membres d'organisations de défense de droits de l'homme et des campagnes en vue de discréditer et de saper leur travail ; ceci constituerait un pas décisif vers la reconnaissance de l'importance de leur rôle d'agents actifs de la société civile, et vers l'établissement d'un climat de respect des droits fondamentaux. Ce compte-rendu devra prendre acte des efforts incessants accomplis par les défenseurs des droits de l'homme afin de mettre un terme à l'impunité et pour traduire en justice les responsables de ces abus.
10. Le rapport de la Commission devra examiner la conduite du personnel judiciaire, en particulier la Cour Suprême, afin d'établir dans quelle mesure le personnel judiciaire a failli à ses obligations statutaires en matière d'enquête sur les violations des droits de l'homme.
11. Le rapport de la Commission devra examiner les unités spéciales de renseignement, en particulier les bureaux du secrétaire général de la Présidence et le Général de l'armée, qui sont responsables de graves violations des droits de l'homme au Guatémala. Elle devra examiner les informations selon lesquelles ces unités ont pris part, directement ou indirectement, aux actions des "escadrons de la mort". Elle devra aussi examiner les structures institutionnelles, les politiques et les doctrines qui ont fourni l'infrastructure et le climat dans lesquels ces atrocités ont été commises. Il conviendra d'apporter une attention particulière aux opérations anti-insurrectionnelles et aux opérations de sécurité nationale ayant pour but la répression des opposants gouvernementaux ou des suspects présumés, afin de veiller à ce qu'elles soient entièrement démantelées et ne puissent être reproduites par des institutions de l'Etat ou des unités des forces de sécurité existantes ou nouvelles.
12. La Commission devra mettre en garde les autorités du Guatémala contre l'introduction de toute nouvelle mesure législative susceptible d'empêcher ou de suspendre les enquêtes sur les violations des droits de l'homme commises dans le passé par des agents des forces de sécurité, ou les poursuites des responsables présumés.
13. La Commission devra faire des recommandations qui conduiront à la mise en oeuvre effective des points de l'accord de paix qui concernent les droits de l'homme et des recommandations des Nations unies et des autres organisations des droits de l'homme, en accordant une attention particulière aux recommandations qui tendent à favoriser le processus de réparation.
14. A cette fin, la Commission devra faire des recommandations qui ont pour effet de faire adopter par les autorités des procédures, tant juridiques que pratiques, aptes à permettre une réparation et une indemnisation prompte, effective et équitable.
15. La Commission devra émettre des recommandations correspondant le cas échéant à des cas tant individuels que collectifs de réparation, et répondant aux besoins des victimes et de leurs familles.
16. La Commission devra conseiller les autorités quant aux mesures nécessaires pour permettre aux victimes et à leurs familles d'être pleinement consultées sur les décisions concernant les réparations auxquelles elles ont droit, et d'être équitablement représentées et actives au sein de l'organisme chargé de ces réparations.
17. La Commission devra émettre des recommandations spéciales concernant l'introduction dans les manuels scolaires et universitaires ainsi que dans les cours sur les droits de l'homme et dans la vie sociale et culturelle, des résultats de ses enquêtes.
18. La Commission devra recommander des mesures légales, politiques ou administratives afin d'empêcher la répétition des violations des droits de l'homme.
19. La Commission devra tirer des conclusions quant à la manière dont les autorités pourraient assumer l'héritage et l'institutionnalisation de trois décennies de violences, d'effusion de sang et de militarisation. Ces conclusions devront avoir pour objectif de changer les comportements sociaux en s'appliquant à développer une meilleure conscience du rôle de la paix, de la tolérance, du dialogue et des normes essentielles des droits de l'homme.
20. La Commission devra élaborer des recommandations quant à la méthode selon laquelle les autorités concernés devront poursuivre l'action commencée par elle, afin de veiller à ce que l'Etat guatémaltèque s'acquitte de ses obligation d'apporter réparation aux victimes des violations passées, à leurs familles et à la société dans son ensemble.
1. Les autorités guatémaltèques doivent veiller à ce que des enquêtes judiciaires, impartiales et efficaces soient ouvertes sans délai sur les allégations de violations des droits de l'homme commises pendant la période de conflit armé interne, en particulier les cas d'exécution extrajudiciaire, de torture et de "disparition". Ces enquêtes devront porter sur les dossiers ouverts avant le début du travail de la Commission de clarification historique, les dossiers pris en compte par les autorités judiciaires à la suite des conclusions de la Commission et les affaires qui seront mises en lumière après la cessation de l'activité de la Commission.
Les autorités doivent également veiller à ce que toute la lumière soit faite sur les allégations de meurtres délibérés et arbitraires, faits de torture et prises d'otages commis par des membres de l'opposition armée. La Unidad Revolucionaria Nacional Guatemalteca (URNG, Union révolutionnaire nationale guatémaltèque) doit apporter toute sa collaboration à ces enquêtes.
2. Les autorités doivent immédiatement demander et exploiter les informations recueillies par la Commission de clarification historique, qui pourraient contribuer à établir les faits et à déterminer les responsabilités pour les atteintes aux droits fondamentaux commises dans le passé. Sur la base des allégations et des informations recueillies, les autorités compétentes devront veiller à ce que des enquêtes judiciaires soient ouvertes lorsqu'il y a lieu.
3. Les enquêtes sur les exécutions extrajudiciaires et les "disparitions" devront être conduites en conformité avec les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions et avec la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. De même les autorités doivent se saisir d'office, en l'absence d'une plainte formelle déposée par la victime ou par des membres de sa famille, pour s'assurer qu'une enquête pourra être ouverte et maintenue jusqu'à ce que le sort de la victime soit établi officiellement et que les circonstances de l'acte préjudiciable soient clarifiées. Cela ne signifie pas seulement l'identification du corps dans un cas d'exécution extrajudiciaire, mais aussi la clarification exacte des faits depuis le moment de l'enlèvement jusqu'au moment du décès, notamment l'identification précise des auteurs matériels et intellectuels70.
4. Le gouvernement ne devra admettre aucune mesure législative qui pourrait empêcher la clarification des faits relatifs aux atteintes aux droits fondamentaux commises par des agents des forces de sécurité, les poursuites contre les présumés responsables, leur condamnation s'ils sont jugés coupables, ou l'indemnisation adéquate des victimes. A cet effet, le gouvernement devrait abroger les dispositions correspondantes des lois d'amnistie antérieures, par exemple le décret-loi 08-86. Il devrait aussi faire adopter des mesures législatives pour préciser la Ley de Reconciliación Nacional (Loi de réconciliation nationale) en veillant à ce qu'aucune disposition ne permette d'exonérer de leur responsabilité pénale les auteurs de certaines atteintes aux droits fondamentaux, comme les exécutions extrajudiciaires, les détentions arbitraires, le viol et les sévices sexuels.
Le gouvernement devrait aussi faire adhérer le Guatémala comme Etat partie à la Convention des Nations unies sur la non-application du délai de prescription dans les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.
5. Les autorités compétentes devront adopter un programme d'ensemble qui garantisse un examen rapide, impartial et efficace de toutes les allégations concernant les cimetières clandestins ; l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes par rapport aux responsables présumés ; les moyens et ressources nécessaires à cet organisme pour qu'il puisse mener à bien ces enquêtes. Les méthodes et les conclusions des enquêtes devront être rendues publiques.
La méthodologie des exhumations, des autopsies et de l'analyse des restes des squelettes devrait se conformer aux protocoles proposés comme modèles par les Nations unies, fondés sur les Principes relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d'enquêter efficacement sur ces exécutions et sur le Protocole type relatif aux autopsies contenu dans le Manuel des Nations unies sur la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires.
6. Les autorités devront prendre des mesures pour protéger les preuves et les informations réunies par la Commission de clarification historique et par les enquêtes judiciaires en cours ; faire sanctionner par la loi la dissimulation, la destruction ou la falsification de ces informations.
7. Toutes les mesures nécessaires devront être prises pour garantir à chaque victime et à sa famille la communication des faits qu'auront pu établir la Commission de clarification historique et l'enquête judiciaire. Si les autorités guatémaltèques s'abstenaient de répondre dans chaque cas individuel, en prétextant que les victimes sont trop nombreuses, ou pour toute autre raison, Amnesty International considérerait qu'il s'agit d'un manquement à leurs obligations de garantir le droit de toute personne à réparation.
La vérification des faits et la publication intégrale de la vérité constituent un test important de la volonté du gouvernement de surmonter les abus laissés en héritage par les gouvernements du passé. A cet effet les autorités devraient assurer la plus grande diffusion possible au rapport de la Commission de clarification historique. Ce rapport doit être rendu accessible à tous les secteurs de la population guatémaltèque. La diffusion devra être aussi large que possible et comporter une très large couverture par les médias, à la fois en espagnol et dans les dialectes indiens.
8. Le gouvernement devra veiller à ce que l'armée coopère par la voie hiérarchique aux enquêtes judiciaires, et souligner que la destruction des preuves, l'entrave à la justice ou les menaces contre ceux qui participent à la procédure ne seront pas tolérées et seront considérées comme des infractions pénales.
9. Amnesty International accueille avec faveur le décret-loi 70-96 qui prévoit la protection des témoins et de toutes les personnes impliquées dans l'administration de la justice. Cependant l'Organisation croit savoir que ce texte n'est pas encore pleinement opérationnel. Les autorités devront donc mettre en oeuvre un programme efficace pour garantir la sécurité et la protection de tous ceux qui participent aux enquêtes judiciaires sur les atteintes aux droits de l'homme commises dans le passé, tout particulièrement les témoins ou les victimes.
10. Les agents des forces de sécurité responsables d'exécutions extrajudiciaires, de "disparitions" et de torture devront être traduits en justice, en conformité avec les normes internationales relatives à l'équité des procès. Ce principe doit être respecté dans tous les cas, indépendamment du lieu où se trouvent les auteurs, du lieu où a été commis le crime, de la nationalité des victimes ou celle des auteurs.
11. Le gouvernement devra faire exécuter immédiatement tous les mandats en cours relatifs à l'arrestation des agents des forces de sécurité ou de la police privée liés à des violations présumées des droits de l'homme et assurer leur détention selon les dispositions légales. Là où un ensemble de preuves laisse penser qu'un agent des forces de sécurité a pu être impliqué dans des "disparitions", des exécutions extrajudiciaires ou des faits de torture, les autorités compétentes veilleront à ce qu'il soit immédiatement suspendu pendant les poursuites et rendront publique cette décision.
Les autorités devront aussi veiller à ce que les officiers supérieurs soient tenus pour responsables des actes commis par les personnels placés sous leur autorité, chaque fois que des motifs suffisants laisseront supposer qu'ils auraient été à même de prévenir ou de sanctionner ces actes.
12. L'Organisation considère que, parallèlement à une procédure de démobilisation vérifiée par des organes indépendants du pouvoir exécutif, des enquêtes devront être ouvertes pour établir la responsabilité pénale d'anciens membres des forces de sécurité, notamment des agents du bureau du Secrétaire général de la Présidence, les membres de commissions militaires et les Volontaires des Comités de défense civile responsables de graves atteintes aux droits de l'homme, telles que torture, "disparitions" et exécutions extrajudiciaires.
13. Les autorités guatémaltèques devront prendre des mesures pour empêcher la réintégration des anciens membres des forces de sécurité qui seraient reconnus coupables de graves atteintes aux droits de l'homme. A cet effet les autorités devront instaurer un fichier d'informations qui empêche tout agent des forces de sécurité destitué en raison de sa participation probable à une violation des droits de l'homme de réintégrer la fonction publique avec des missions similaires.
14. Le contrôle des armes devra être la première préoccupation d'un véritable programme qui évite la réitération des atteintes graves aux droits de l'homme. Les autorités guatémaltèques devront prendre des mesures immédiates pour exercer un contrôle beaucoup plus strict sur la détention et l'usage des armes par les militaires d'active et les personnels de police. Il y aura lieu en outre de procéder d'urgence, conformément aux accords de paix, à la restitution de toutes les armes militaires détenues par des civils, notamment des anciens membres de l'armée et des forces de sécurité.
15. Les autorités devront ordonner une enquête indépendante sur la conduite des unités spécialisées dans le renseignement, en particulier le G-2 de l'armée et le bureau du Secrétaire général de la Présidence et sur les allégations de graves atteintes aux droits de l'homme perpétrées par les agents de ces unités. Les informations selon lesquelles ces unités étaient impliquées dans les actions des "escadrons de la mort" devront être l'objet d'une attention spéciale. Cette enquête aura pour but d'identifier les responsables de ces exactions pour qu'ils soient poursuivis en justice et de garantir que ces unités soient totalement démantelées et ne puissent pas resurgir dans des institutions d'Etat ou des unités des forces de sécurité existantes ou nouvellement créées.
16. Les autorités guatémaltèques devront prendre des mesures immédiates pour instaurer des mécanismes capables de mettre en oeuvre totalement et efficacement les recommandations faites par la Commission de clarification historique. Ces mécanismes, qui pourraient inclure des mesures législatives rendant contraignantes les recommandations de la Commission, devraient être établis avec la collaboration et la participation d'organisations non-gouvernementales de défense des droits de l'homme et le bureau du Procureur des droits de l'homme. Des organisations inter-gouvernementales devraient aussi instaurer des mécanismes pour contrôler la mise en oeuvre des recommandations de la Commission.
17. Les autorités guatémaltèques et la communauté internationale doivent veiller à fournir à l'organisme chargé de gérer l'indemnisation des victimes et de leurs familles les ressources dont il a besoin pour mener à bien sa mission.
18. Les autorités devront veiller à ce que les réparations apportées aux victimes de violations passées des droits de l'homme ou de leurs familles soient effectuées en conformité avec les normes et les principes contenus dans les instruments internationaux de protection des droits de l'homme.
19. Les autorités devront veiller à ce que ces réparations comportent une modernisation financière et des mesures de réadaptation, aussi bien que des soins et une assistance médicale, qui pourraient aider les victimes et leurs familles à surmonter les conséquences physiques ou psychologiques des préjudices subis.
20. Les autorités devront prendre les mesures législatives nécessaires pour restaurer la victime dans sa dignité et sa réputation, puis les faire adopter et appliquer dans la réalité. Elles s'attacheront aussi à préserver la dignité des victimes en leur rendant hommage et en intégrant leur souvenir dans la vie culturelle et sociale.
Ces mesures devraient comporter l'aveu officiel et public par l'Etat guatémaltèque de ses responsabilités dans les exactions passées ainsi que la reconnaissance des souffrances et des traumatismes subis par les familles des victimes.
Annexe II
GUATEMALA : EXECUTIONS EXTRAJUDICIAIRES MASSIVES COMMISES DANS LES ZONES RURALES SOUS LE GOUVERNEMENT DU GENERAL EFRAIN RIOS MONTT
MARS
24 mars
Les villages de Sacatalji, Crumax, San Isidro et Samuc de Cobán, département d'Alta Verapaz auraient été réduits en cendres. On ignore le nombre exact des victimes.
24-27 mars
Les villages de Las Pacayas, Cistram (ou Cisirau), El Rancho Quixal et Chiyuc, municipalité de San Cristobal Verapaz ont été bombardés. Bilan : 100 morts.
26 mars
Neuf familles entières de campesinos, soit 54 personnes, ont été tuées, et trois campesinos enlevés par des soldats en civil qui ont pénétré dans le village de Pacoj, département de Chimaltenango.
31 mars
15 campesinos ont été abattus et quatre sont morts dans les flammes, au village d'Estancia de la Virgen, municipalité de San Martin Jilotepeque, département de Chimaltenango. Des hommes fortement armés les avaient fait sortir de leurs domiciles. La plupart des cases du village ont été réduites en cendres. D'après les campesinos, ces meurtres sont l'oeuvre de l'armée.
30 mars-3 avril
55 personnes ont été tuées dans le village de Chinique, département d'El Quiché. Selon les autorités, ce massacre était le résultat d'un affrontement entre des guérilleros et une patrouille de défense civile.
AVRIL
2 avril
Environ 250 soldats et paramilitaires ont pénétré dans le village d'El Adelanto, municipalité de Concepcion, département de Solola, ont enlevé 10 femmes puis les ont tuées. Ils ont ensuite mis le feu à leurs maisons.
le (ou vers le ) 2 avril
Des hommes armés sont entrés dans le village de Ximbaxuc, Chinique, Quiché et ont dévalisé, brûlé vifs et tué 40 campesinos. Parmi ces victimes, des hommes, des femmes, des personnes âgées et des enfants.
le (ou vers le) 3 avril
13 campesinos ont été abattus dans le village de Nicabaj, Rabinal, département de Baje Verapaz.
Il s'agit de :
Francisco Sis Osorio (16 ans)
Félix Jeronimo Tecu (60 ans)
Rosalio Jeronimo Tista (32 ans)
Paulo Pangay (30 ans)
Bernabé Garcia (70 ans)
Mario Valey (17 ans)
Miguel A. Valey (14 ans)
Juliana Osorio (52 ans)
Fulgencia de Paz (31 ans)
Julian Mendoza (50 ans)
Silvestre Tecu (57 ans)
Julian Jeronimo (58 ans)
Arturo Jeronimo
3-5 avril
29 paysans ont été brulés vifs à leur domicile dans les villages de Chocorales et de Semeja I, municipalité de Santa Cruz del quiché, département d'El Quiché.
5 avril
Une centaine de personnes ont été tuées dans le village de Mangal, et d'autres à Chel, Jua et Amachel dans le nord du Quiché. Dans l'un des villages, les soldats auraient forcé toute la population à se rassembler dans le tribunal, auraient violé les femmes, décapité les hommes et tué les enfants en les projetant contre des rochers dans la rivière voisine. 35 autres personnes ont été tuées le même jour dans la finca Covadonga, municipalité de Chajul, département de Chimaltenango. Les campesinos ont désigné l'armée comme responsable de ces atrocités.
6 avril
Dans le village de Palama, San José Poaquil, département de Chimaltenango, des soldats ont tué une femme âgée de 100 ans.
7 avril
Des soldats ont tué au moins trois femmes après avoir attaqué le hameau de Chirrenquiché, Coban, Alta Verapaz. Le lendemain, les soldats sont revenus dans le hameau et ont abattu à la mitrailleuse une famille toute entière, dont un bébé d'un an (voir témoignage d'un survivant de cette attaque - Annexe II).
12 avril
Dans le village de Santa Rosa, Chubuyub, El Quiché, 12 personnes ont été massacrées.
14 avril
13 personnes ont été tuées dans la nuit dans les villages de Tziquinay et San Martin Jilotepeque, département de Chimaltenango.
15 avril
Des soldats sont revenus au village d'El Adelanto, Concepción et ont tué avec des armes automatiques ou des machettes 30 autres personnes du village dont 15 femmes et 9 enfants qui avaient entre 6 mois et un an.
15 avril
Des groupes de campesinos accusent l'armée d'avoir attaqué le village de Semeja I, Chichicastenango; selon eux, 20 villageois ont été attachés à des poteaux de leurs cases et brûlés vifs. Le même jour dans le village de Chocorrales, Santa Cruz, Quiché, une patrouille a décapité neuf paysans, dont une fillette de neuf ans, pendant que sa famille était en prière. On connait les noms de six d'entre eux :
Isaias Vicente Pérez
Vicente Pérez
Abelino Marroquin Xiquim
Victor Tzoy Tiu
Mateo Tun
Juan Chio Itzay
15 avril
Des campesinos ont été tués dans le village d'Agua Caliente, municipalité de San José Poaquil, département de Chimaltenango. D'après un rapport de l'armée, les campesinos ont été tués par des guérilléros qui sont allés de maison en maison demandant de la nourriture et des vêtements; ils auraient harcelé certaines des femmes, sur quoi les campesinos ont tué 2 guérilléros, qui ont alors riposté, tuant les campesinos (14 tués selon l'armée, 23 selon d'autres sources).
16 avril
Dans le village de Covadonga, Barillas, Huehuetenango, 35 personnes ont été massacrées.`
17 avril
14 campesinos tués et leurs maisons incendiées à San José, Poaquil, Chimaltenango.
le (ou vers le) 17 avril
Un nombre inconnu de campesinos ont été tués à Agua Escondida, Chichicastenango, Quiché, et leurs maisons incendiées.
17-22 avril
67 paysans tués dans les villages de Xasic, Choacama, Chitatul, Tabil et Cahjpal, dans le département d'El Quiché.
20 avril
20 personnes tuées dans le village de Pojujel, municipalité de Concepcion, département de Solola.
21 avril
11 campesinos ont été tués par des hommes portant des cagoules qui ont attaqué le village d'Agua Caliente, Comalapa, Chimaltenango. Ils ont forcé leurs victimes à sortir de chez eux avant de les tuer.
22 avril
Toute une famille, dont deux enfants de quatre et six ans, a été tuée dans le village de San Nicolas, municipalité de Chiantla dans le département de Huehuetenango.
le (ou vers le) 22 avril
Trente hommes armés sont entrés dans le village de Macanché, Flores, département de Petén, ont forcé les habitants à sortir de leur domicile avant de les tuer. Les campesinos tués sont :
Natalio Alonso Castaneda (80 ans)
Vilma Posadas Alonso (22 ans)
Gonzalo Posadas Alonso (12 ans)
Elias Posadas Alonso (7 ans)
Julio A. Rodriguez Lopez (40 ans)
Macedonia Solis (40 ans)
César Augusto Solis (23 ans)
Adela Solis (14 ans)
Antonio Solis (9 ans)
Elena Solis (6 ans)
Olivia Solis (12 ans)
Marco Tulio Solis (3 ans)
Mario Posadas (24 ans)
Demetrio Ortega (48 ans)
Gilbert Posadas Alonso (24 ans)
25 avril
Dans le village de Varituc, municipalité de San Martin Jilotepeque, département de Chimaltenango, 13 paysans ont été tués.
le (ou vers le) 25 avril
12 campesinos sont morts lors d'un attentat à la bombe contre un camion qui les emmenait à Canton Namaj, Santa Rosa Chujubuj, Quiché. Voici les noms de huit de ces campesinos :
Gonzalo Quinones Sical (45 ans)
Floridalma Quinones (56 ans)
Odeteh Quintana (16 ans)
Blanca de Leon (22 ans)
Mercedes Reyes
Celedonia Urizar
Santos Urizar
Victor Urizar
26 avril
L'armée a été déclarée responsable de meurtres commis dans le hameau de Chitnij, municipalité de San Cristobal Verapaz, département d'Alta Verapaz (voir 6 juin)
20 personnes ont été brûlées vives dans leur maison, dans le village de Chipiacul (ou Chipun), Patzun, Chimaltenango. Les survivants ont déclaré l'armée responsable. Voici les noms des personnes tuées :
Bernardino Xínico Saquec (47 ans)
Ventura Xínico (35 ans)
Balbino Chuc Ajú (23 ans)
Francisco Ajú (16 ans)
Carlos Enrique Ajú (25 ans)
Francisco Chonay Basibal (43 ans)
Ricardo Ajú Sicajaú (50 ans)
Alberto Ajú Sicajaú (37 ans)
Pedro Marcelino Yaquí Mos (44 ans)
Daniel Yaquí (23 ans)
Alberto Yocón Chuc (18 ans)
Sabino Ajú Sipac (45 ans)
Teodoro Xínico (27 ans)
Nicolás Baján (26 ans)
Martin Xínico (27 ans)
Nicolás Chonay (74 ans)
Adrian Yaqui (44 ans)
Merlinda Xínico (17 ans)
Olivio Jochola (19 ans)
Basilio Ajcalón (18 ans)
26-27 avril
32 campesinos ont été tués dans diverses communautés des départements d'El Quiché et de Chimaltenango. Pendant la seconde moitié du mois d'avril, 27 personnes ont été étranglées dans les villages d'Estancia de la Virgin, Tioxia, Chuatalun et Chicocon, municipalité de San Martin Jilotepeque, département de Chimaltenango.
MAI
2 mai
Plusieurs familles tuées dans le village de Chjocon.
3 mai
15 paysans tués à Parramos, Chimaltenango, apparemment par l'armée. Mais, d'après l'armée, les paysans ont été tués lors d'affrontements entre l'armée et des guérilleros.
On estime à 500 le nombre de personnes tuées ces deux derniers mois dans les villages de Parraxtut, El Pajarito et Pichiquil. Certains de ces villages sont totalement déserts, les survivants ayant fui la région.
le (ou vers le) 7 mai
Une famille de quatre personnes a été tuée à l'arme automatique et à la machette au village de San Pedro Jocopilas, Quiché. Des hommes non identifiés ont enfoncé la porte à coups de pied pendant que la famille dormait, les ont tous tirés de leur lit avant de les abattre. Les victimes ont été identifiées. Il s'agit de :
Juana de Alecio
Santiago Alecio
Arnoldo Alecio
Candelario Alecio
8 mai
15 paysans ont été brûlés vifs dans le village de Chamaxú, département de Huehuetenango. Il s'agit notamment de :
Fidelino Pérez
Valdemar Galicia R.
Rudy Galicia R.
Fidencio Galicia
Manuel Galicia Recinos
Antonio Galicia
Saúl Galicia
Byron Hernández
Miguel López
Emilio Alba
Arturo Galicia
Mateo Galicia
Margarito Galicia
Six hommes, 15 femmes et 23 enfants ont été tués dans le village de Saquixa II, Chichicastenango, El Quiché.
10 mai
20 personnes tuées dans le village de Salacuin, près de Cobán, département d'Alta Verapaz. D'après les autorités ces meurtres seraient l'oeuvre de la guérilla.
14 mai
Gildardo, Angel, Miguel, Antonio et Santiago López Velásquez, ces cinq frères ont été abattus dans le village d'El Granadillo, Colotenango, département de Huehuetenango. C'étaient tous des campesinos.
Trois femmes (Dolores Jon, Marcelina Gualín et Matilda Caal) et une fillette de 12 ans, Marcelina Yac Jon, ont été tuées dans le village de Najtilabaj (aussi appelé Tilabán), San Cristóbal Verapaz, département d'Alta Verapaz. Elles ont été tuées à leur domicile, pendant leur sommeil.
On a retrouvé les corps de trois femmes et d'un homme tués à coups de machette et portant des traces de torture, à San Ildefonso Ixtahuacán, Huehuetenango.
15 mai
Trois hommes ont été abattus dans le village de Covadonga, Santa Cruz Barillas, département de Huehuetenango.
8 campesinos tués à Canton Semeja II, Chichicastenango, Quiché. Il s'agit de :
Sebastián Canil Huescas (45 ans)
María Huescas (42 ans)
Manuel Canil Vargas (25 ans)
María Cipriano Chun (23 ans)
Sebastián Canil (16 ans)
Manuela Canil (9 ans)
Miguel Canil (8 ans)
Tomás Canil (1 an)
Les cinq campesinos dont les noms suivent on été tués à Los Brillantes, Sta. Cruz Mulua, Retalhuleu :
Angela Ventura (55 ans)
Enrique Morales Ventura (22 ans)
Ana Marcos Ventura (16 ans)
Francisco Marcos V. (14 ans)
Irma Judith Alvarez (18 ans)
17-18 mai
Environ 70 personnes (dont des femmes enceintes et des enfants) auraient été tuées à San Juan Cotzal et Saquilá, département de Quiché.
18 mai
25 enfants âgés de quatre mois à quatorze ans, 15 femmes (dont certaines enceintes) et trois hommes tués à Saquilá II, Chichicastenango, département de Quiché, par des hommes qui sont allés d'une maison à l'autre pour procéder au massacre* .
6 hommes tués dans le village de Chillel, juridiction de San Gaspar Chajul, El Quiché.
Un cimetière clandestin a été découvert dans le village de Chuatalún, municipalité de San Martín Jilotepeque, Chimaltenango. On y a trouvé 84 corps, hommes, femmes et enfants. Des chiens et des coyotes étaient en train de les dévorer.
19 mai
Entre 20 et 30 paysans ont été tués dans le village de Sacualpa, département de Quiché.
le (ou vers le) 19 mai
14 campesinos ont été tués à l'arme automatique et à la machette par des inconnus qui ont attaqué le village de Batzul Chapul, Quiché.
le (ou vers le) 20 mai
Des hommes armés ont attaqué et tué plusieurs familles et incendié leur maison à Patzibal, Quiché. Les 16 campesinos sont:
Miguel Xen (75 ans)
Martina Xen (7mois)
Micaela Pansay (48 ans)
Sebastián Xen
María Pol Pacajoy
Sebastián Chicoy (11 ans)
Sebastian Calgua
Miguel Mejía (3 ans)
Micaela Pansay (8 ans)
Tomás Canil (10 ans)
Micaela Panjoj
José Xen (2 ans)
Tomasa Mejía (30 ans)
Juana Esquilá (45 ans)
Juana de Balán (19 ans)
Juana Mejía (5 ans)
21 mai
5 corps ont été trouvés à Patzibal, 7 à Matzul et 1 à Pocoil, municipalité de Santo Tomás, Chichicastenango, département de Quiché.
le (ou vers le) 22 mai
3 campesinos ont été tués par des hommes armés et masqués dans le village Najtilabaj San Cristóbal Verapaz, département d'Alta Verapaz. Les noms des victimes sont:
Roberto Caal Mis
Virgilio Yuc Caal
Manuel Coc
24 mai
10 personnes dont 6 enfants ont été tués quand 30 hommes armés ont fait irruption dans une petite usine de cuir près de Santa Cruz del Quiché, département d'El Quiché.
le (ou vers le) 25 mai
Dans le village de Los Cerritos, Chiché, département de Quiché, 5 campesinos dont une fillette de cinq ans sont morts brûlés vifs lorsque des hommes armés les ont attaqués et ont mis le feu à leur maison. Voici les noms des victimes:
José Joaquín Morales
Julio Morales
Tomás Morales
Juan Manuel Morales
Tomasa Ignacio (5 ans)
le (ou vers le) 28 mai
4 campesinos ont été tués à Cantón Chocacrúz, Sololá. Leurs corps qui ont été emmenés à la morgue de l'hôpital portaient des impacts de blessures par balle et des traces de torture. Trois d'entre eux ont été identifiés. Il s'agit de:
Jesús Lajuj
Pedro Morales
Inesario Morales
JUIN
8 juin
9 personnes, dont 3 enfants et 2 personnes âgées, ont été mises à mort par le feu sur la route qui mène à San Pedro Carchà, département d'Alta Verapaz. Une trentaine d'hommes armés circulant en camionnettes ont forcé les victimes à sortir de chez elles, les ont rassemblées, ont jeté de l'essence sur elles et leur ont mis le feu, selon un témoin oculaire.
vers le 5-6 juin
Les corps de 10 personnes ont été découverts près de du village de Nahtiliabaj (également mentionné sous la forme Natiliabaj), Alta Verapaz, portant des signes de torture et des blessures par balles. Les autorités et la guérilla s'accusent réciproquement de ce massacre.
6 juin
L'armée est à nouveau désignée comme coupable de massacres à Chitnij, municipalité de San Cristóbal Verapaz. Au total, on a signalé 16 femmes et 6 enfants tués dans ce hameau pendant la journée du 26 avril (voir plus haut) et celle du 6 juin.
7 juin
Les corps de 16 campesinos sont découverts en deux endroits dans le nord du Guatemala.
11 juin
15 campesinos, dont 8 femmes et 3 enfants, ont été tués au village de Las Payacas, circonscription de San Cristóbal Verapaz, département d'Alta Verapaz. Les autorités guatémaltèques ont déclaré que la guérilla était responsable de ce massacre. Des informations relatent également que des Indiens, qui parlaient dans leur langue natale à des journalistes étrangers, ont accusé l'armée d'être coupable de ces meurtres, mais le membre du corps de défense civile qui a traduit leurs déclarations en espagnol à l'intention de journalistes étrangers en a donné une traduction diamétralement opposée.
Le lendemain, l'armée aurait attaqué un camp de la guérilla dans le secteur, tuant 8 guerilleros.
14 juin
Plus de 100 campesinos ont été tués dans le secteur de Nebaj, département de Quiché. Les autorités en accusent la guérilla.
15 juin
Un communiqué de l'armée déclare que des membres de "Ejéreito guerrilleros de Los Pobres"(EGP), l'Armée de guérilla des pauvres, ont tué 112 personnes et blessé 43 autres ce jour-là, au village de Chacalté, municipalité de Chajul, El Quiché. D'autres sources en attribuent la responsabilité aux autorités officielles.
17 juin
20 campesinos sont tués au village de San Marcos, département d'Alta Verapaz.
14-23 juin
14 personnes ont été tuées à Chinique, El Quiché, et un nombre non précisé à Morales, Izabal.
le (ou vers le) 22 juin
11 personnes ont été tuées dans le département de Quiché, dont 3 à Chichicatenango, portant le nom de Lastror Morales et toute la famille "campesina" Pérez Guarcas de Cantón La Vega. La guérilla et les autorités se rejettent la responsabilité des meurtres.
dernière semaine de juin
Plus de 80 campesinos ont été tués dans les villages de Las Pacayas, El Rancho et Najtilabaj, municipalité de San Cristóbal Verapaz, département de Alta Verapaz, à ce qu'il semble par l'armée et par des membres des groupes de défense civile. La majorité des victimes étaient des femmes et des enfants.
Au village de Pampacché, département d'Alta Verapaz, environ 300 soldats ont trainé tous les hommes hors de chez eux. Quelques jours plus tard, plus de 70 cadavres torturés ont été trouvés près du village de Tactic, département d'Alta Verapaz.
Estimation du nombre de tués: 2 186 (il faut tenir compte de la possibilité que certains aient été comptés deux fois, comme nous l'avons mentionné plus haut, ainsi que de la probabilité que tous n'ont pas été signalé.)
Annexe III
L'HERITAGE DE REVOLUTION
Le 20 octobre 1944 est une des dates les plus importantes du calendrier civique international. Sous l'influence du souffle de liberté qui se répandait sur toute l'Europe avec la certitude de la victoire des alliés sur l'Allemagne hitlérienne, nos étudiants, nos soldats et nos travailleurs se sont soulevés en prenant les armes et ont renversé la dictature Ubico-Ponce qui gouvernait le pays d'une poigne de fer depuis 14 ans.
Cette révolte patriotique dirigée par le citoyen Jorge Toriello Garrido, le capitaine Jacobo Arbenz Guzmán et le Major Francisco Javier Arana, a réuni pratiquement tous les Gualtémaltèques. La stratégie avait été mise au point à l'avance par le Major Carlos Aldana Sandoval et la sédition avait le soutien de dirigeants civils comme, entre autres, Enrique Muñoz Meany, Clemente Marroquín Rojas, Julio Bianchi, Eugenio Silva Peña, Silverio Ortiz et Jorge García Granados. Des représentants de divers secteurs de la société ont pris part à cette action, comme Julio César Méndez Montenegro, Emilio Zea González, Oscar de León Aragón, Marco Antonio Villamar Contreras, Julio Valladares Castillo, Enrique Luna, Felipe Valenzuela, Ricardo Asturias Valenzuela, Antonio Nájera, Fernando Bregni, Ricardo Cancelo, Jorge Morales et Carlos Andrade Keller, qui se sont emparés de la Garde d'Honneur. Pour ses partisans et ses sympathisants, la Révolution d'Octobre n'appartient pas à un seul groupe; elle appartient à tous les Guatémaltèques.
Le temps a passé et, 53 ans après cette réussite, nous sommes confrontés aujourd'hui à une situation particulièrement difficile, caractérisée par une crise économique, l'escalade de la violence et la détérioration de la société.
Grâce à la fin de la tyrannie Ubico-Ponce, le Guatémaltèque vivait dans le sentiment enthousiasmant de partager un objectif commun à presque tous les secteurs de la société. Il semblait alors possible que ce pays cesse d'être celui de l'intransigeance et devienne celui de la tolérance mutuelle entre groupes antagonistes, caractéristique fondamentale d'une démocratie authentique.
Le Conseil de gouvernement révolutionnaire a légué aux générations suivantes une leçon de patriotisme indélébile. Après avoir renversé la dictature, il a mis de l'ordre dans les biens publics, permis au pays de se donner la constitution légitime et démocratique à laquelle il aspirait, lancé un nouveau processus de modernisation sociale, provoqué des élections générales et transmis le pouvoir - tout cela en l'espace de cinq mois.
Malheureusement, le destin a voulu que les espérances suscitées par cette belle et héroïque action ne laissent que le goût amer d'une promesse non tenue. Les deux courants idéologiques qui se répandaient sur le monde ont déferlé sur le Guatémala, se disputant l'hégémonie sur le pays. La tragédie du Pont de la Gloire, la mal nommé, a marqué le retour de notre intolérance atavique. A partir de ce moment, c'est l'affrontement qui est devenu la norme au Guatemala.
Dans les décennies suivantes, les citoyens du Guatémala ont dû rendre compte d'une guerre sale et en supporter les conséquences; cette guerre s'est déterminée par la confrontation d'une gauche à vocation totalitaire et d'une droite primitive et fasciste.
Le peuple du Guatémala s'est cependant refusé à s'avouer vaincu dans sa recherche d'une démocratie authentique. Heureusement, notre monde contemporain résonne des cloches de la paix tandis qu'y souffle le vent de l'expansion, ce qui autorise le Guatemala à espérer que les meilleurs de ses enfants pourront conduire le pays vers la concorde retrouvée.
Il existe heureusement des signes optimistes montrant que la recherche des vraies valeurs démocratiques et les aspirations au peuple guatémaltèque à une vie de paix et de prospérité qui ont été la base de la révolution de 1944, commence à établir les fondations d'une espérance nouvelle.
La version originale en langue anglaise de ce document a été publiée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 8DJ, Royaume-Uni, sous le titre GUATEMALA : All the truth, justice for all. Seule la version anglaise faisant foi.
La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat international par le Service des Coordinations de la Section Française d'Amnesty International - mai 1998.