logoaisf.gif (3193 octets)

 

   Voir en bas du texte les actions possibles

FÉDÉRATION DE RUSSIE 
RÉPUBLIQUE DE TCHETCHENIE

Recommandations d’Amnesty International à l’attention du gouvernement de la Fédération de Russie

  

Communiqué de presse du 17 février 2000

 

 

• Le gouvernement russe doit protéger les civils de Tchétchénie, ainsi que les milliers de personnes déplacées qui fuient les bombardements.

• Le gouvernement russe doit mettre un terme à sa politique d’intimidation à l’encontre des Tchétchènes et des personnes originaires du Caucase vivant sur le territoire de la Fédération de Russie, notamment à Moscou.

 

Amnesty International est très préoccupée par la poursuite des bombardements de l’armée russe en Tchétchénie, qui ont, ces dernières semaines, causé la mort de civils et l’exode de milliers de personnes. Les premiers raids aériens ont fait suite aux récents attentats à l’explosif contre des immeubles à Moscou et dans deux autres villes de Russie au cours desquelles au moins 292 personnes ont trouvé la mort et que le gouvernement russe a attribués à des groupes islamiques de la République tchétchène, bien qu’ils n’aient pas encore été revendiqués. L’Organisation s’inquiète de la réaction du gouvernement russe à la suite de ces attentats, qui semble bien prendre la forme d’une campagne visant à sanctionner tout un groupe ethnique. La " lutte contre la criminalité et le terrorisme " ne justifie en rien la violation des droits de la personne humaine.

Bien qu’Amnesty International ne prenne pas position sur les causes des conflits armés, ni sur le recours à la force en tant que tel, elle appelle toutes les parties au conflit à se conformer aux exigences du droit international humanitaire. L’Organisation rend compte d’un certain nombre d’atteintes aux droits humains commises dans le cadre de conflits armés et mène des actions visant à y mettre fin. Il s’agit notamment des homicides de civils, commis de façon délibérée et sans discrimination, des détentions sans inculpation ni procès, des actes de torture, des mauvais traitements et des exécutions extrajudiciaires de détenus, y compris de soldats ou d’autres combattants mis hors de combat, du recours à la peine de mort, de la prise d’otages, de la " disparition " ou de l’enlèvement de personnes.

Le droit humanitaire international interdit les attaques délibérées contre les civils et les lieux où ils se trouvent. Il exige également des garanties strictes en cas d’attaques dirigées contre des objectifs militaires, notamment l’obligation d’informer à l’avance des attaques susceptibles de frapper la population civile. L’armée russe a déclaré que les frappes aériennes qu’elle a menées en Tchétchénie visaient des cibles militaires légitimes, à savoir des bastions de groupes armés islamiques en République tchétchène. Les autorités militaires ont nié avoir dirigé leurs attaques aériennes contre des civils et des lieux où ils se trouvaient.

Le 28 septembre, les autorités tchétchènes avaient annoncé que depuis le début des bombardements, 400 à 500 civils avaient été tués et plus de 1 000 avaient été blessés, la moitié de ces victimes étant des femmes et des enfants. Au 14 octobre, le nombre des civils tués était d’environ 2 000. Selon certaines informations, au cours des raids aériens du 27 septembre, l’armée russe aurait bombardé une école ainsi que des cités de la ville de Staraya Sunja, au nord de Grozny, la capitale, tuant 21 civils et en blessant 44 autres. Le 24 septembre, lors d’une frappe aérienne, huit passagers d’un bus roulant sur l’autoroute qui relie Rostov à Bakou auraient été tués à la hauteur de la ville de Samachki. Selon des sources tchétchènes, plusieurs zones comportant une forte concentration de civils ainsi qu’un émetteur de télévision, ont été bombardées. Compte tenu de la situation en matière de sécurité, qui rend très difficile l’accès à la Tchétchénie de médias indépendants et d’observateurs chargés de veiller au respect des droits humains, Amnesty International n’est pas en mesure de confirmer le nombre des victimes, ni d’établir les circonstances de leur mort. Cependant, les informations disponibles laissent à penser que les forces armées russes ne prennent pas toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils.

Selon des estimations officielles, l’intensification des raids aériens aurait amené quelque 170 000 personnes, hommes, femmes et enfants, à fuir la Tchétchénie ; d’après le ministère russe chargé des situations urgentes, plus de 146 000 d’entre elles se seraient réfugiées dans la République d’Ingouchie voisine, qui fait partie de la Fédération de Russie, 12 000 autres seraient actuellement en Ossétie du Nord, et 10 000 auraient gagné la République du Daghestan. Le 7 octobre, le ministère chargé des situations urgentes a annoncé avoir recensé 43 582 personnes déplacées en Ingouchie. Cependant, Amnesty International est préoccupée par des informations signalant que la majorité des civils ayant fui les bombardements n’ont pas de statut particulier, en tant que personnes déplacées dans leur propre pays, et n’ont de ce fait pas accès aux services médicaux et sociaux. Le 10 octobre, un responsable du ministère de la Santé d’Ingouchie a annoncé qu’un enfant âgé de huit mois appartenant à une famille de Tchétchènes déplacés dans leur propre pays était mort de froid. Cette famille était sans abri depuis trois semaines. Selon certaines informations, les personnes déplacées se trouvant en Ingouchie se seraient plaintes du manque de nourriture, d’eau et d’abris, et auraient déclaré qu’on ne les laissait pas quitter ce pays. À l’un des postes de contrôle de la frontière ingouche, les soldats leur auraient dit qu’ils avaient reçu l’ordre de ne laisser sortir aucune personne ayant obtenu un permis de séjour pour la capitale tchétchène, Grozny, et ce, quelle que soit sa nationalité.

De même, au mois de septembre, à Moscou et dans d’autres grandes villes, les responsables de l’application des lois et les autorités locales russes ont lancé ce qui semble bien être une vaste campagne d’intimidation en appliquant de manière illicite le système des " permis de séjour " et de la " déclaration de résidence ". Les principales victimes en seraient les Tchétchènes ainsi que d’autres personnes originaires du Caucase. Certaines informations laissent à penser que la police a placé plus de 20 000 personnes non moscovites en détention, et que plus de la moitié d’entre elles se sont vu refuser l’enregistrement de leur déclaration de résidence et la délivrance d’un permis de séjour. À Moscou, des responsables affirment que quelque 10 000 non moscovites ne possédant pas de permis de séjour et que l’on a refusé d’enregistrer ont été expulsés de la ville. Au cours des trois dernières semaines, à Moscou ainsi que dans d’autres grandes villes de la Fédération de Russie, des Tchétchènes et d’autres personnes originaires du Caucase auraient été délibérément pris pour cibles par les responsables russes de l’application des lois ainsi que par les autorités locales, expulsés ou placés en détention, où certains auraient subi des mauvais traitements.

Amnesty International a, à plusieurs reprises, appelé les autorités russes à supprimer le système des propiskas (permis de séjour) dans la Fédération de Russie. Bien qu’ayant été aboli dans la législation nationale en 1991, ce système est toujours appliqué par les autorités locales à Moscou, à Saint-Pétersbourg, ainsi que dans d’autres grandes villes, qui ont remis en place une réglementation stricte, exigeant une autorisation préalable de résidence. Les immigrés, les personnes déplacées dans leur propre pays et les demandeurs d’asile ne possédant pas de permis de séjour n’ont pas accès aux soins médicaux, à l’éducation et aux services sociaux, et sont souvent victimes d’arrestations arbitraires et d’expulsions forcées de la part des responsables de l’application des lois.

 

Amnesty International prie instamment le gouvernement russe d’appliquer de toute urgence les recommandations suivantes :

• Le gouvernement russe doit se conformer aux dispositions du droit humanitaire international relatif à la protection des civils au cours des conflits armés, qui interdit les attaques contre des civils ou des lieux où ils se trouvent. L’armée russe doit prendre les précautions nécessaires afin d’épargner les civils, en sélectionnant et en vérifiant soigneusement ses cibles, en choisissant le moment de ses attaques et en alertant à l’avance la population civile. D’autres règles exigent que des précautions spécifiques soient prises lors du lancement d’une attaque, notamment que celle-ci soit arrêtée s’il devient évident que l’objectif n’est pas militaire ou que l’attaque risque d’être disproportionnée par rapport à l’objectif militaire.

• Le gouvernement russe doit honorer ses autres engagements en matière de défense des droits humains lors de conflits armés, y compris le Code de conduite relatif aux aspects politico-militaires de la sécurité adopté en décembre 1994 par l’OSCE. Le gouvernement russe doit respecter les droits humains comme il s’est engagé à le faire lors de son entrée au Conseil de l’Europe en février 1996, notamment son engagement à " respecter de manière stricte les dispositions du droit humanitaire international, même en cas de conflits armés sur son territoire ".

• Le gouvernement doit prendre les mesures nécessaires afin de mettre un terme à la campagne d’intimidation dont sont l’objet des civils tchétchènes ainsi que d’autres personnes originaires du Caucase résidant à Moscou et dans d’autres grandes villes de la Fédération de Russie, notamment aux arrestations illégales, au refus d’enregistrement des déclarations de résidence et d’octroi de permis de séjour ainsi qu’aux expulsions. Le gouvernement fédéral doit faire respecter et appliquer la décision de 1998 de la Cour constitutionnelle qui rendait illégal le système de permis de séjour et de déclaration de résidence à Moscou et sur tout le territoire de la Fédération de Russie. Le gouvernement doit faire savoir à l’ensemble des autorités locales et des responsables de l’application des lois que le système des permis de séjour est interdit.

• Les autorités russes doivent mener une enquête approfondie et impartiale sur les informations selon lesquelles des civils et des lieux les abritant ont été pris pour cibles par l’armée russe au cours des bombardements sur la Tchétchénie. Elles doivent également traduire en justice tous les représentants de l’armée et du gouvernement responsables de ces attaques.

• Les autorités russes doivent enquêter sur les informations et les allégations faisant état d’arrestations illégales et arbitraires et de détentions de civils à Moscou et dans d’autres villes, y compris les allégations de mauvais traitements qui auraient été infligés à des personnes détenues par des responsables de l’application des lois. Les autorités devront faire en sorte que tous les responsables de ces actes soient traduits en justice.

• Le gouvernement doit prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer l’accès à la République tchétchène des médias indépendants et des observateurs chargés de veiller au respect des droits humains, et de garantir leur sécurité.

• Amnesty International appelle le gouvernement de la Fédération de Russie à prendre immédiatement des mesures destinées à fournir la protection et l’aide nécessaires aux 170 000 personnes déplacées dans leur propre pays qui fuient la guerre en Tchétchénie et cherchent à se réfugier dans les républiques voisines de la Fédération de Russie. Actuellement, plus de 146 000 civils tchétchènes se trouvent dans la République d’Ingouchie, 12 000 en Ossétie du Nord, et 10 000 dans la République du Daghestan. Le gouvernement russe doit respecter les dispositions des Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays présentées dans le Rapport du Représentant du Secrétaire général, M. Francis Deng, lors de la 54e session de la Commission des droits de l’homme en 19981. Amnesty International invite tout particulièrement les autorités russes à se conformer aux principes suivants :

Conformément au Principe 1 (1), le gouvernement russe doit s’assurer que " Les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays jouissent, sur un pied d’égalité, en vertu du droit international et du droit interne, des mêmes droits et libertés que le reste de la population du pays. Elles ne doivent faire l’objet, dans l’exercice des différents droits et libertés, d’aucune discrimination fondée sur leur situation en tant que personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays.. "

Conformément au Principe 3, le gouvernement de la Fédération de Russie a " le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui relèvent de leur juridiction. " Le Principe 3 (2.) prévoit le droit des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays " de demander et de recevoir une protection et une aide humanitaire desdites autorités. Elles ne doivent être soumises à aucune persécution ou punition pour avoir formulé une telle demande. "

Conformément au Principe 4 (2.), le gouvernement russe doit prendre les mesures nécessaires afin de garantir que :

 

" Certaines personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, telles que les enfants, en particulier les mineurs non accompagnés, les femmes enceintes, les mères d’enfants en bas âge, les femmes chefs de famille, les personnes souffrant d’incapacités et les personnes âgées, ont droit à la protection et à l’aide que nécessite leur condition et à un traitement qui tienne compte de leurs besoins particuliers. "

Conformément au Principe 12, le gouvernement russe doit respecter le droit de tout individu à la liberté et à la sûreté de sa personne, et le fait que nul ne peut être arbitrairement arrêté ni détenu. Aussi le gouvernement russe doit-il s’assurer que les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays ne sont pas " internées ni confinées dans un camp. Si, dans des circonstances exceptionnelles, de telles mesures s’avèrent absolument nécessaires, elles ne doivent pas durer plus longtemps que ne l’exigent ces circonstances. "

Le gouvernement russe doit respecter tout particulièrement les dispositions du Principe 14, s’assurer que toute personne déplacée à l’intérieur de son propre pays a le droit de circuler librement et de choisir librement sa résidence. Ce principe prévoit également le droit des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays d’entrer librement dans les camps ou autres zones d’installation et d’en sortir librement.

Les autorités russes doivent veiller au respect des droits des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays inscrits dans le Principe 15, en particulier :

• Le droit de rechercher la sécurité dans une autre partie du pays ;

• Le droit de quitter leur pays ;

• Le droit de chercher asile dans un autre pays ;

• Le droit d’être protégées contre le retour ou la réinstallation forcés dans tout lieu où leur vie, leur sûreté, leur liberté et/ou leur santé seraient en danger.

Conformément aux dispositions du Principe 18, les autorités russes doivent veiller à ce que toutes les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays aient droit à un niveau de vie suffisant. Selon le Principe 18 (2.), " Au minimum, quelles que soient les circonstances et sans discrimination aucune, les autorités compétentes assureront aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays les services suivants et leur permettront d’y accéder en toute sécurité : (a) aliments de base et eau potable ; (b) abri et logement ; (c) vêtements appropriés ; et (d) services médicaux et installations sanitaires essentiels. "

Le gouvernement russe doit prendre des mesures afin de garantir le respect du droit de toute personne déplacée à l’intérieur de son propre pays à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Afin de remplir cette obligation, les autorités russes doivent se conformer aux dispositions du Principe 20, qui stipule que " ... les autorités concernées délivreront aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays tous les documents dont elles ont besoin (passeports, papiers d’identité, attestation de naissance, attestation de mariage, etc.) pour pouvoir exercer leurs droits. Elles leur faciliteront en particulier l’obtention de nouveaux documents ou le remplacement de documents perdus durant le déplacement sans leur imposer des conditions excessives, telles que le retour dans le lieu de résidence habituel pour se faire délivrer ces documents ou les autres papiers nécessaires. "

Le Principe 23 stipule le droit à l’éducation et oblige les autorités concernées à veiller " à ce que les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, en particulier les enfants déplacés, reçoivent [...] un enseignement ".

Le gouvernement de la Fédération de Russie doit également observer les dispositions du Principe 25, selon lequel " C’est en premier lieu aux autorités nationales qu’incombent le devoir et la responsabilité d’apporter une aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. "

  

La version originale en langue anglaise de ce document a été éditée par Amnesty International, Secrétariat international, 1 Easton Street, Londres WC1X 0DW, Royaume-Uni, sous le titre : RUSSIAN FEDERATION: CHECHEN REPUBLIC. Amnesty International’s recommendations to the government of the russian Federation. (Index AI : EUR 46/36/99). Seule la version anglaise fait foi. La version française a été traduite et diffusée aux sections francophones et au Secrétariat International par les ÉDITIONS FRANCOPHONES D'AMNESTY INTERNATIONAL - ÉFAI - Service RAN - Novembre 1999.

 

Actions possibles : 

      


ce modèle tient compte des derniers événements : cf Communiqué de presse du 17 février 2000


liens divers (Ceux-ci ne dépendent pas d'Amnesty International et ne sauraient engager sa responsabilité.) :

puce.gif (926 octets)TCHETCHENIE. Histoire d'un conflit (Le Monde diplomatique)

puce.gif (926 octets)De nombreux témoignages font état de “ camps de filtration ”, de tortures, de viols et d’exécutions (Libération)

puce.gif (926 octets)Réfugiés : le martyre tchétchène (L'Express)

puce.gif (926 octets)Urgence Tchétchénie (Médecins du Monde)