Déclaration de Paris : Manifestations autour du 10 Décembre 98

DECLARATION DE PARIS

PROJET FINAL SOUMIS POUR ADOPTION
AUX ETATS GENERAUX DES DEFENSEURS DES DROITS HUMAINS

LE 10 DECEMBRE 1998

Nous, défenseurs des droits humains,

Réunis en Etats Généraux à l'occasion du cinquantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, au Palais de Chaillot, lieu symbolique où cette Déclaration fut adoptée le 10 décembre 1948 par les Etats membres de l'Organisation des Nations Unies;

Nous œuvrons, au quotidien, pour faire des hautes aspirations contenues dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de tous les droits garantis par les autres instruments internationaux et régionaux pour la protection des droits humains, une réalité pour tous à travers le monde;

Nous sommes convaincus que les droits humains sont universels, indivisibles et inaliénables, et qu'ils sont attachés aux hommes, aux femmes et aux enfants dès leur naissance, et qu'ils constituent l'héritage commun de l'humanité qui nous relie aux générations futures;

Nous nous félicitons que, depuis cinquante ans, le nombre croissant d'organisations et d'individus qui défendent les droits humains a ouvert de nouvelles possibilités et considérablement renforcé l'influence des défenseurs des droits humains aux niveaux national et international;

Nous sommes convaincus que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme représente " l'idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations ", et établit pour aujourd'hui et pour demain, des principes essentiels pour la vie en société dans le respect de la dignité humaine ; et qu'à ces titres, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme constitue une référence juridique et morale incontestable;

Nous témoignons que, cinquante ans après l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, "la méconnaissance et le mépris des droits de l'Homme" constituent toujours une réalité quotidienne pour de nombreuses personnes et que les violations des droits humains revêtent des formes de plus en plus diverses et complexes, impliquant un nombre croissant d'acteurs, notamment économiques, dans un contexte de mondialisation;

Nous affirmons:

- qu'il est de la responsabilité des Etats de garantir la réalisation de tous les droits inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les autres instruments internationaux et régionaux,

- que les droits humains constituent une préoccupation de la communauté internationale, ainsi que le reconnaissent la Déclaration et le Plan d'action de Vienne, et que contribuer à la réalisation des droits humains, aux plans international et régional, incombe à l'ensemble de cette communauté : aux organisations intergouvernementales, aux institutions financières, aux sociétés transnationales et aux entreprises privées,

- le droit de tout individu de protéger et promouvoir les droits inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les autres instruments internationaux et régionaux, en conformité avec ces instruments;

Nous dénonçons le décalage croissant entre la réalité souvent dramatique des violations des droits humains dans de nombreux pays et les discours lénifiant tenus par ces mêmes Etats en soutien de leur image internationale;

Nous dénonçons les tentatives d'un certain nombre d'Etats de justifier ou d'excuser les violations des droits humains au nom de la spécificité culturelle, religieuse ou historique, ou de la sécurité nationale ; ainsi qu'en opposant fallacieusement aux droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et culturels et le droit au développement; ou au contraire, en niant la valeur de ces derniers;

Nous dénonçons la précarité économique et sociale qui conduit - dans ses formes les plus graves et lorsqu'elle devient persistante - à l'extrême pauvreté et à l'exclusion, et constitue une violation des droits humains ; nous insistons sur le fait que ceux qui vivent dans des conditions d'extrême pauvreté sont parmi les principales victimes de nombreuses violations des droits humains et que les efforts qu'elles déploient au quotidien pour rester en vie les placent parmi les défenseurs des droits humains;

Nous dénonçons l'échec des Etats à mettre fin à l'impunité, qui constitue un des principaux obstacles au respect des droits humains et entrave l'action des défenseurs des droits humains ; nous saluons la création de la Cour pénale internationale, appelons les Etats à ratifier son statut immédiatement et à tout mettre en œuvre pour en assurer le fonctionnement effectif et efficace;

Dans cet esprit:

Nous affirmons avec force que la réalisation de tous les droits humains demeure, aujourd'hui comme hier, l'objectif commun pour lequel nous vivons, travaillons et agissons ; nous sommes convaincus que, tant que les droits humains ne seront pas respectés pour tous, la paix et la sécurité auxquelles nous aspirons tous, resteront hors de portée;

Nous invitons chacun, individuellement et collectivement, à contribuer à la réalisation des droits garantis par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et par les autres instruments internationaux et régionaux, tel qu'il est proclamé notamment dans la Déclaration sur la protection des défenseurs des droits humains adoptée par les Nations Unies1;

Nous déplorons que le nombre et l'influence accrus des défenseurs des droits humains dans le monde soient accompagnés d'un développement et d'une systématisation des mesures et pratiques répressives à leur encontre;

Nous déplorons que dans certains pays, ces mesures et pratiques répressives sont telles que les femmes et les hommes n'ont aucun moyen de promouvoir et protéger les droits humains et les libertés fondamentales au niveau national;

Nous dénonçons en particulier le fait que les défenseurs des droits humains, sont pris pour cible par ceux-là mêmes dont ils contrarient les régîmes ou les pratiques ; et qu'ils figurent, en raison même de leur engagement, parmi les victimes d'exécutions sommaires, de disparitions forcées, de la torture, de détentions arbitraires, de violations du droit à un procès équitable, des libertés d'opinion, d'expression, d'association, de réunion, de manifestation, de circulation, du droit à la vie privée, des droits à l'emploi et dans l'emploi, des droits au logement, à la santé, à l'éducation et à la culture, et qu'ils sont de plus en plus contraints à l'exil ou au déplacement forcé, ou à vivre dans des conditions inhumaines ou dégradantes;

Nous dénonçons la multiplication des mesures et pratiques systématiques utilisées par les Etats visant à empêcher ou entraver les activités légitimes des défenseurs des droits humains, y compris la censure et la saisie des publications, la diffamation, le harcèlement administratif et policier, les mesures d'intimidation, l'implication dans des affaires de droit commun, l'assimilation avec les groupes "terroristes", les restrictions imposées pour la création ou l'enregistrement des associations, les obstacles légaux et administratifs au droit à l'accès et à la diffusion de l'information, la surveillance et le contrôle de l'accès aux financements et de leur utilisation, la création par les autorités d'organisations non-gouvernementales qu'elles placent sous leur contrôle, l'invocation de l'état d'exception ou des nécessités de l'ordre public, l'impunité des auteurs de tels actes à l'encontre des défenseurs des droits humains;

Nous exprimons notre solidarité avec ceux et celles qui sont victimes de violations sans pouvoir recourir à aucun mécanisme de protection des droits humains en raison de la répression systématique de leurs droits;

Nous appelons les Etats à remplir leurs obligations en vertu du droit international des droits humains et à respecter et faire respecter le droit à la liberté d'action des défenseurs des droits humains et, à cette fin:

- à remplir leurs obligations, en vertu de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des autres instruments internationaux et régionaux, auxquels ils ont librement souscrit, et de ne pas entraver l'exercice libre et effectif du droit de protéger et de promouvoir les droits humains,

- à adopter les mesures nécessaires pour garantir ce droit et protéger ceux et celles qui l'exercent, en particulier en mettant leurs lois nationales en conformité avec la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les autres instruments internationaux et régionaux,

- et à assurer cette protection contre des actes ou omissions imputables à l'Etat, ainsi que contre des actes de violence et les atteintes à la dignité humaine perpétrés par des groupes armés ou des entités privées;

Nous appelons les organisations intergouvernementales, internationales ou régionales, à protéger les défenseurs des droits humains ; à cette fin à se doter des instruments et à instaurer les mécanismes nécessaires pour garantir effectivement la liberté d'action des défenseurs des droits humains, et pour les protéger contre toutes les formes de répression; et à cet égard:

- nous nous félicitons que l'Assemblée Générale des Nations Unies adopte enfin ce jour, 10 décembre 1998, la Déclaration sur la protection des défenseurs des droits de l'Homme' au terme de treize années d'élaboration,

- nous appelons instamment tous les Etats à prendre immédiatement les mesures nécessaires, aux plans national et international, pour assurer la mise en œuvre effective des droits inscrits dans cette Déclaration;

Nous réaffirmons que la mise en œuvre des droits inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme est l'affaire de tous, et nous lançons un appel aux entreprises privées, aux sociétés transnationales, aux institutions financières internationales pour qu'elles veillent à ce que leurs stratégies et leurs projets contribuent à la mise en œuvre des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, et n'entravent pas la liberté d'action des défenseurs des droits humains;

Enfin, nous appelons instamment les hommes et les femmes de tous les âges et tous les organes de la société, à s'engager au quotidien, dans leurs communautés, à respecter et promouvoir tous les droits de tous à travers le monde et de nous rejoindre, pour faire en sorte que les hautes aspirations proclamées dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme deviennent une réalité pour les générations présentes et à venir.

(1) Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits humains et les libertés fondamentales universellement reconnus